Ignace Lam, CEO d’Intermart : «Les Mauriciens dépensent beaucoup dans les loisirs, pas que dans l’alimentaire» | Défi Économie Aller au contenu principal

Ignace Lam, CEO d’Intermart : «Les Mauriciens dépensent beaucoup dans les loisirs, pas que dans l’alimentaire»

Ignace Lam

Le CEO de l’enseigne Intermart, Ignace Lam, se réjouit de l’augmentation du pouvoir d’achat des Mauriciens  en cette fin d’année 2019, mais, nuance-t-il, toutes les dépenses ne vont pas dans les produits alimentaires. La consommation, poursuit-il, inclut aussi bien les smartphones, les téléviseurs à haute définition ainsi que la fréquentation des foodcourts.

« Il ne faut pas croire que les Mauriciens achètent à l’instinct. Dans l’alimentation, ils savent se montrer prudents. »

Comment a été l’année 2019 dans le grand commerce alimentaire ?
Cela été une bonne année rendue possible grâce à la stabilité de la croissance nationale. Certains émettent des critiques concernant le fait que nous ne parvenions pas à atteindre une croissance de 4 %, mais moi j’estime que le fait que celle-ci demeure stable est déjà une bonne chose, je suis de ceux qui préfèrent voir le verre à moitié pleine. Tout cela, malgré le fait que certains de l’économie comme l’industrie cannière, le tourisme et le textile-habillement ne se portent pas bien. Mais les Mauriciens continuent à consommer, doper sans aucun doute par le paiement du salaire minimum.

Comment se présentent les tendances dans le secteur de la consommation ?
Il faut déjà établir une distinction dans ce secteur, qui est loin d’être homogène, aujourd’hui les Mauriciens dépensant beaucoup dans les loisirs, pas que dans l’alimentaire. Depuis ces dernières années, le segment téléphone mobile et, dans une moindre mesure, celui des téléviseurs à haute définition, se sont beaucoup développés, de même que les foodcourts, ainsi que le ‘malls’, qui sont devenus un phénomène social qui attire toutes les couches sociales, surtout des familles entières. Ce phénomène a explosé, si bien qu’aucun promoteur de galerie commerciale n’envisage de projet sans inclure un foodcourt.

Est-ce que cela vous inquiète ?
Non, mais un fait mérite d’être retenu: en consommant dans ces foodcourts les samedis, les Mauriciens privent les supermarchés d’un manque à gagner en produits alimentaires. Ce besoin de sortir pour aller consommer hors de la maison indique que nous sommes entrés dans une société de loisirs qui s’accompagne de l’essor économique de l’île. C’est la raison pour laquelle il est très important de définir le modèle économique que l’on veut adopter avant de monter un commerce alimentaire.

Qu’est-ce que cela signifie en clair ?
Il faut prendre en ligne de compte la distribution socioprofessionnelle et ethnique de la région où va s’implanter le commerce. Si on ne fait pas cette étude-là, on risque d’avoir de mauvaises surprises.

La succursale d’Intermart de Mare-Graviers est installée dans une région où se trouvent trois autres supermarchés. Est-ce qu’il y a de la place pour vous tous ?
Oui, parce que c’est une zone très densifiée, avec des profils de clients très diversifiés, ce qui permet de répondre aux attentes de tous. Nous sommes aux Plaines-Wilhems où sont concentrées les villes, avec des commerces de tout genre, ainsi que des quartiers résidentiels, qui comprennent des endroits huppés aussi bien que des quartiers populaires.

Comment faites-vous la différence ?
Nous nous distinguons en termes d’accueil et en qualité de services qui nécessitent des investissements, sans oublier l’espace-parking, très indispensable. Pour nous, il ne s’agit pas uniquement de vendre, mais de nous assurer du confort du client entre les rayons, ce qui implique son rapport avec le personnel et de mettre à sa portée les informations qu’il souhaite. Il faut aussi veiller à la fluidité des mouvements dans le supermarché, entre le moment où le client y pénètre et après qu’il ait terminé ses courses. Le gain de temps est un facteur très précieux pour tout le monde, compte tenu du fait que chacun a ses occupations. Cela implique que les articles leurs soient bien exposés et visibles. La formation du personnel et sa capacité à s’impliquer dans les attentes de la clientèle exigent de tous les salariés qu’ils bougent en même temps pour relever les défis.

À ce titre, on parle beaucoup d’achats en ligne. Est-ce que c’est un moyen de vente viable à Maurice ?
Pas dans l’alimentation. Il faut mettre les conditions en place pour y arriver, dont la disponibilité de centrales d’achat et d’accessibilité. Nous sommes encore loin des implications d’ordre opérationnel de ce type de commerce, je pense au recours aux robots. Même les grosses structures ne sont pas prêtes à se lancer dans le stockage robotisé. À Maurice, nous sommes desservis par des fournisseurs directs, puis le consommateur souhaite encore le contact humain et vérifier la qualité des produits qu’il achète.

Est-ce que le modèle commercial de grande surface sous un toit regroupant des boutiques marche-t-il ?
En 1994, à l’arrivée de Continent, les premiers commerces affectés étaient les petites boutiques de quartier. Pour la première fois, les Mauriciens ont vu un caddie dont ils pouvaient se servir durant les courses. Je me suis rendu compte que la plupart des petits commerces n’ont pas saisi l’occasion pour se moderniser, en redéfinissant leurs offres en tenant compte du profil socioprofessionnel de leur marché. Il leur faut revoir le volume de leurs références, en ayant à l’esprit que les hypermarchés possèdent quelque 40 000 références alors que les supermarchés offrent, eux, 20 000 références. Il faut que les operateurs des boutiques tiennent ces réalités en ligne de compte pour mieux définir leur segment. Maurice est un pays qui importe la majeure partie de ses produits alimentaires. Les rayons des grandes surfaces sont surchargés de plusieurs offres dans une même gamme, aussi faut-il être prudent lorsqu’on achète.

A l’approche des fêtes de fin d’année, comment se comportent les Mauriciens durant les achats ?
Ils dépensent toujours plus durant cette période, avec un pouvoir d’achat plus conséquent grâce à leur boni de fin d’année et, cette année, avec l’augmentation de la pension de retraite. Mais, ils sont aussi devenus très conscients des incertitudes liées à l’ avenir. Mais, comme je vous l’ai dit au départ, les dépenses en alimentation ne sont les seules en cette période, il faut surtout inclure les smartphones et les téléviseurs à haute définition, parfois à des prix exorbitants. C’est une tendance mondiale à laquelle Maurice n’échappe pas, c’est un peu désolant parce que je souhaite qu’on dépense plus pour mieux se nourrir. Cela dit, le fait de voyager pour différentes raisons et la mondialisation de la communication facilitée par l’internet influencent le goût des Mauriciens. Mais je note, en même temps, que dans leur grande majorité, ils restent dans leurs habitudes, faisant plutôt confiance à ce qu’ils connaissent.

Des associations de consommateurs critiquent le fait que, dans des grandes surfaces, des produits sont exposés de manière à influencer les clients à faire des achats inutiles…
Il n’y a pas de mal à mettre en valeur des produits de large gamme. Il ne faut pas croire que les Mauriciens achètent à l’instinct. Dans l’alimentation, ils savent se montrer prudents.

Est-ce que le fait que Maurice soit un petit marché peut-il être un obstacle à l’essor des commerces comme le vôtre ?
Pas dans le segment alimentaire. Ce qui m’inquiète, c’est le fait qu’on a du mal à attirer des touristes chinois, qui sont à la recherche des produits de haut de gamme et d’un endroit stable et sécurisé pour passer leurs vacances. On a toujours du mal à leur proposer des offres adaptées à leurs attentes. En termes de shopping, nous ne leur offrons pas grand-chose. Il faut que le gouvernement élabore une véritable stratégie en termes d’accessibilité pour ces produits de luxe.