Blanchiment d’argent : ces solutions proposées pour lutter contre le fléau
De la sensibilisation de la population à l’adoption d’une approche intégrée, en passant par un contrôle rigoureux sur le commerce de produits de luxe ou encore une utilisation efficace de la technologie, les propositions pour lutter contre la circulation de l’argent sale dans le pays sont diverses.
Il n’est pas toujours facile de connaître la source de l’argent qui est investi dans les entreprises. Cette faiblesse est exploitée par les trafiquants pour blanchir leurs revenus gagnés de façon illicite. Pour les observateurs, il faut renforcer davantage les mesures de contrôle pour que les trafiquants de drogue n’utilisent pas cette voie pour blanchir leur argent sale.
Ils sont d’avis que pour surmonter les difficultés que pose le blanchiment d’argent, il faudra un partage de l’information continu entre les entreprises et les divers organismes et institutions comme les banques, la Financial Intelligence Unit, la Financial Reporting Unit et la Commission anticorruption, entre autres.
Ils font remarquer que le trafic de drogue ne ternit pas seulement la réputation d’un pays, mais représente aussi un coût énorme pour son économie. Ils citent notamment les ressources qui sont utilisées pour combattre ce fléau, la prise en charge par les services de l’État des victimes de la drogue. Sans compter que cela pose aussi un problème au niveau de la main-d’œuvre.
De plus, ils attirent l’attention sur le fait que les revenus dérivés du trafic de drogue ne passent pas par la filière normale comme les banques et autres institutions financières. D’où les diverses astuces des trafiquants pour que leur argent sale entre dans le circuit monétaire du pays. Et les moyens utilisés par les trafiquants de drogue sont d’utiliser des prête-noms pour masquer leurs biens immobiliers et autres et d’investir leur argent sale à travers des investissements dans des compagnies opérant en toute légalité. Comment protéger ces sociétés contre les tentacules des trafiquants ?
Imrith Ramtohul, observateur économique : « Il faut d’abord sensibiliser la population sur les implications »
Imrith Ramtohul est d’avis qu’il faut tout d’abord sensibiliser la population mauricienne sur les effets néfastes du blanchiment d’argent sur notre économie. « Beaucoup de gens ne semblent pas être pleinement conscients des graves implications de ce phénomène », déplore-t-il. Par ailleurs, il estime qu’il y a un besoin de veiller à ce que les agences d’enquête aient l’autorisation complète pour rechercher et confisquer les avoirs d’origine criminelle.
« La mise en place d’un cadre approprié pour permettre aux agences impliquées d’échanger librement des informations entre elles et avec leurs homologues dans d’autres pays est aussi primordiale », avance-t-il. Selon l’observateur économique, si la population et les investisseurs étrangers sont convaincus que ces mesures sont strictement appliquées, la réputation du pays s’améliorera sans doute.
« Il est bon de souligner que Maurice travaille en étroite collaboration avec d’autres juridictions pour s’assurer que les blanchisseurs d’argent ou encore les trafiquants de drogue ne sont pas en mesure d’opérer même s’ils vont ailleurs », rappelle-t-il.
Beelal Baichoo, COO de RockFin : « Grand temps que le commerce de produits de luxe soit réglementé »
Beelal Baichoo avance que même les pays avancés sont confrontés au problème de circulation de l’argent sale. Récemment, dit-il, Maurice a déployé des efforts considérables pour être retiré des listes noires et grises du GAFI et de l’Union européenne. « Malgré cela, nous sommes confrontés à des cas de cette nature, ce qui prouve qu’il y a encore des enjeux importants à traiter », soutient-il.
Ce dernier estime qu’il est essentiel que des mesures appropriées soient prises à l’encontre des coupables. « Il ne doit pas y avoir de perception de deux poids deux mesures ou de relents de favoritisme, quelles que soient les connexions présumées ou revendiquées de certains », fait-il valoir.
Le COO de RockFin avance que des leçons appropriées doivent également être tirées de ces affaires. « Ainsi, nous avons vu comment des produits de luxe tels que des véhicules, des bateaux et des yachts coûteux ont été utilisés, selon les allégations. Il est donc grand temps que ces commerces soient réglementés du point de vue de l’AML/CFT (Anti-Money Laundering/Combating the Financing of Terrorism », recommande-t-il.
Bhavish Jugurnath, économiste : « Une approche intégrée est attendue du gouvernement »
Face au nombre élevé de cas liés au trafic de drogue et au blanchiment d’argent, l’économiste Bhavish Jugurnath est d’avis qu’il est grand temps que le gouvernement propose une approche intégrée qui s’attaque à tous les risques et les problèmes liés à la drogue. « Cela comprend notamment la réduction de l’offre et de la demande de drogues illicites, la mise en place d’un mécanisme de coordination, un cadre pour assurer le suivi et l’évaluation des informations stratégiques basées sur les conventions internationales relatives au contrôle des drogues », explique notre interlocuteur.
Pour lui, le gouvernement doit prendre l’engagement de fournir les ressources nécessaires pour la mise en œuvre et pour le maintien des activités de lutte contre le trafic de drogue. La population également, poursuit-il, devrait être invitée à participer pleinement à cette lutte. « Si cela n’est pas pris en compte, l’économie de Maurice peut avoir une réputation négative en termes de blanchiment d’argent et de trafic de drogue », prévient-il.
Roshan Seetohul , secrétaire de l’OTAM : « L’utilisation de la technologie pour suivre le mouvement des bateaux autour de l’île »
Le secrétaire de l ‘Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM) propose un consensus national pour la lutte contre le trafic de drogue et du blanchiment d’argent. « Ce n’est pas une bataille pour le gouvernement uniquement. Il faut de la volonté de tous bords, y compris l’État, les partis de l’opposition, les ONG, les forces vives, les associations socioculturelles, entre autres », dit-il.
Roshan Seetohul avance qu’il faut gagner cette bataille afin que l’image du pays ne soit pas ternie et aussi pour protéger la population, surtout les jeunes. Parmi les actions, il propose l’utilisation de la technologie afin de pouvoir suivre les va-et-vient des bateaux autour de l’île. Concernant le blanchiment d’argent, dit-il, des garde-fous existent. « Les institutions doivent être très vigilantes, efficaces et surtout rigoureuses dans leur application. S’il y a des lacunes, il faudra venir avec d’autres dispositifs afin de bien vérifier l’origine des fonds d’investissements », suggère-t-il.
Takesh Luckho, économiste : « Un certificat d’une autorité compétente pour pouvoir investir »
L’économiste Takesh Luckho estime que l’une des façons de s’assurer que l’argent sale n’entre pas dans le circuit monétaire est de vérifier scrupuleusement les sources de revenus des éventuels investisseurs. Il trouve aussi important qu’il y ait un projet de loi, obligeant tout investisseur de présenter un certificat émanant d’une institution financière, comme la Financial Intelligence Unit ou la Financial Services Commission. Ce, avant de pouvoir investir son argent dans une quelconque compagnie à Maurice. « Tout comme une personne doit présenter un certificat de moralité pour avoir un emploi, un investisseur doit aussi présenter un certificat prouvant la source de ses revenus pour pouvoir faire des investissements », dit-il. Il souhaite aussi que les petits entrepreneurs puissent disposer facilement de tous les renseignements voulus auprès des autorités compétentes sur les investisseurs qui veulent investir dans leurs entreprises.
Amar Deerpalsing, président de la Fédération des PME : « La vigilance est de mise »
Le président de la Fédération des Petites et Moyennes Entreprises, Amar Deerpalsing, reconnaît que les petits entrepreneurs n’ont pas de moyens de vérifier si leurs clients, fournisseurs, collaborateurs et actionnaires sont trempés dans des trafics illégaux. « Il faut que les institutions mises en place comme la police, la Financial Intelligence Unit et la Commission anticorruption, entre autres, fassent correctement leur travail pour protéger la population », dit-il.
Parlant des entrepreneurs et autres membres du public, il attire l’attention sur le fait que tous les versements sont scrupuleusement vérifiés et qu’on doit fournir des tas d’explications si on veut effectuer un gros retrait en cash.
Cela dit, il trouve que les institutions financières devront être plus vigilantes sur les sources de revenus et en particulier des investisseurs étrangers qui veulent investir dans des compagnies à Maurice. « Je ne blâme pas tout le monde, mais je trouve que la vigilance est de mise », fait-il comprendre.
Outre les diverses mesures de contrôle, Amar Deerpalsing propose aussi que tous les chèques émis soient obligatoirement barrés, comme c’est le cas dans d’autres pays du monde, dont La Réunion.
Faizal Ally Beegun, syndicaliste : « Il faut plus de protection pour les whistleblowers »
Pour le syndicaliste Faizal Ally Beegun, le gouvernement doit avant tout avoir une volonté politique à toute épreuve pour combattre le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. « Ce fléau ne date pas d’aujourd’hui, mais c’est maintenant qu’il prend une tournure sans précédent, avec notamment de grosses saisies de drogue », fait-il ressortir.
Pour le syndicaliste, le combat contre la drogue doit passer impérativement par une meilleure protection des whistleblowers. « Sans vouloir dramatiser la situation, j’ai le sentiment que les gens ont peur de faire des dénonciations, car ils craignent que leurs noms soient divulgués par la suite », poursuit-il.
Pour prévenir l’investissement de l’argent sale dans les compagnies, Faizal Beegun plaide pour un renforcement des mesures de contrôle au niveau de la MRA et d’autres institutions régulatrices.
Radhakrishna Sadien, syndicaliste : « L’application de la loi dans toute sa rigueur et sans parti pris »
Pour le président de la State Employees Federation, les autorités doivent appliquer la loi dans toute sa rigueur, sans aucun parti pris. Cela, si on veut venir à bout du trafic de drogue et du blanchiment d’argent. « Outre le renforcement des institutions et l’application rigoureuse de lois, il faut aussi appliquer des contrôles stricts sur les investisseurs qui veulent investir à Maurice et un meilleur contrôle sur les devises étrangères ».
Manisha Dookhony, économiste : « Plus de contrôle sur les transactions »
« Il est important de s’assurer que les sources de revenus ne proviennent pas d’activités illicites, insiste Manisha Dookhony, économiste. Elle explique qu’il faut plus de contrôle au niveau des transactions, notamment au niveau du leasing et du transfert d’argent ».
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