Kris Valaydon, observateur politique et économique : «L’État a une responsabilité d’accompagner les entreprises en difficulté»

S’il n’a pas un boulevard devant lui, le Premier ministre, Pravind Jugnauth dispose toutefois d’une majorité confortable pour réaliser ses engagements pris durant les législatives de 2019. L’apport des ex-membres du MMM, fait ressortir l’observateur politique et économique Kris Valaydon, peut « apporter une dimension de proximité au pouvoir ». Dans l’interview qui suit, ce dernier fait aussi ressortir la nécessité au nouveau gouvernement d’« aller au-delà du court-terme ».
« Les problèmes que nous connaissons sont aussi l’expression d’une faillite de la famille, des religions, des groupes à jouer pleinement leur rôle de transmissions de valeurs. »
Après la victoire de l’alliance qu’il a menée en novembre 2019, peut-on déduire que Pravind Jugnauth a désormais les mains libres et toute la latitude pour mener à bien les engagements de cette alliance ?
L'organisation des pouvoirs dans le système mauricien fait du leader de l’alliance victorieuse aux élections générales de novembre dernier celui qui contrôle le pouvoir exécutif. Aussi, ce même système fait que l’exécutif contrôle dans la pratique le pouvoir législatif. La combinaison de ces deux éléments fait que celui qui devient Premier ministre contrôle le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Et avec un tel apanage politique, on ne peut entrevoir aucun obstacle pour que celui qui dirige une alliance au pouvoir ne puisse opérer avec toute l’aisance que lui confère sa majorité confortable dans les limites, bien sûr, de la Constitution.
Est-ce que la composition du gouvernement, avec surtout, des ex-membres du MMM qui ont l’expérience du pouvoir, apporte-t-elle l’assurance qui faisait défaut au gouvernement sortant ?
Ce que l'on pouvait reprocher au gouvernement sortant, c'est le gâchis de ses deux premières années au pouvoir, au cours desquelles son programme était fait de l’obsession de régler ses comptes à ses ennemis sous le slogan de nettoyer le pays. Et dans cette frénésie, ils avaient oublié les fonctions attendues d'un gouvernement. Quant à l’apport des ex-membres du MMM, qui ont passé beaucoup de temps hors d'un gouvernement, ils ont été proches de ceux exclus du pouvoir. Ils détiennent ainsi l’expérience des sensibilités de la rue, du pouls du terrain pour en avoir été en contact le plus clair de leur temps en tant que politicien. Ils connaissent ce que veut dire l’arrogance du pouvoir, vue du peuple. Avec toutes ces connaissances, ils pourront, s'ils ne deviennent pas amnésiques, apporter une dimension de proximité au pouvoir, surtout lorsque la réalité des chiffres des résultats des dernières élections, un soutien de 37 % de voix, échapperait à la mémoire des dirigeants du pays.
La réalisation de la première phase du Metro Express et sa mise en opération ont semblé réconcilier/séduire ceux qui en étaient les ardents opposants. Est-ce que la deuxième phase aura-t-elle le même succès ?
On ne sait pas si les ardents défenseurs comme vous dites ont été séduits, à en juger par leur silence. On n'a vu aucune manifestation de joie de tous ceux qui s’étaient, avec leurs arguments à l’appui, élevé contre le projet. Par contre, au sein de la population, la mise en opération du projet a été accueillie, comme toute grande nouveauté et peut-être, même par ceux qui y étaient contre. Mais cela, c'est la philosophie de la masse, l’esprit du peuple, le niveau de conscience populaire, et c'est tout à fait compréhensible de voir même ceux qui avaient manifesté de manière bruyante et même agressive lors du démarrage des travaux, se ruer pour prendre place dans un tram qu’ils voyaient pour la première fois, en vrai.
Que faudra-t-il attendre du discours-programme de ce gouvernement ?
Au-delà de ce qui était prévu de son manifeste électoral, le discours programme comportera sûrement un fil conducteur, un thème, une philosophie claire de l’ambition du gouvernement pour le pays.
Toutefois, il serait utile d’aller au-delà du court-terme de ce que contenait le manifeste de l’alliance. Les bases d'une planification pour un terme plus long des problèmes structurels dont on parle peu : la baisse de fécondité, le vieillissement de la population, le rétrécissement de la population en âge de travailler, une politique migration, exploitation de la ressource que constitue la diaspora mauricienne comme élément pour fonder un nouveau modèle de développement. Il y aura des attentes aussi émanant des revendications non-satisfaites lors du dernier mandat du gouvernement : l’expropriation des terres, les petits planteurs et l’industrie sucrière, les atteintes à l’environnement et l’accaparement des plages, Pas Géométriques et l’assèchement délibéré par des promoteurs privé des wetlands, entre autres.
Quels sont les gros dossiers auxquels sera confronté ce gouvernement ?
Il y a celui de la traditionnelle gestion de la dette publique, même si M. Padayachy avait dit lors de la campagne électorale qu'elle n'est pas aussi grave qu'on pense, on espère entendre une position responsable de celui à qui on a confié le portefeuille des finances. À cela, il faut ajouter ces défis que les partis politiques, petits et grands, avaient évoqués en novembre dernier, parmi lesquels ceux conjoncturels tels que la baisse des arrivées des touristes, mais il y a surtout les problèmes structurels : l’assainissement de nos institutions : l’ingérence dans le fonctionnement des institutions publiques, la délimitation des pouvoirs entre politiciens et fonctionnaires ; la nomination des ambassadeurs, et le choix des personnes qui n’ont aucune expérience dans la diplomatie, traitant nos représentations à l’étranger comme des sinécures.
Est-ce que les diverses augmentations des prestations (retraite, salaires, salaire minimum) permettent-elles à la population de vivre mieux ?
L’argent c'est important. Oui, cela va aider si les prix n’augmentent pas ; mais est-ce que c'est suffisant pour réduire des inégalités ? Pas sûr. Est-ce que quelqu'un qui vit sur un salaire minimum, même augmenté, pourrait envoyer son enfant faire le HSC ? Recevra-t-il un meilleur service de santé, une plus grande sécurité ? Sera-t-il à l’abri des nombreux dysfonctionnements qui font jour dans notre société ?
De nombreux chefs d’entreprises font aujourd’hui valoir que certaines augmentations – dont la mise sur pied d’un salaire minimum - ne permettent plus de rendre soutenables leurs business. Faut-il les croire ?
C'est le reflet d'une décision politique, faite dans le cadre des élections générales, sans considération du coût et des problèmes que cela entraînerait. Le pays est habitué à de telles surenchères politiques à la veille d'un scrutin, des mesures qui faussent les principes de la démocratie.
Il est évident que certaines petites entreprises auront des difficultés et ils auront recours peut-être à une réduction de main-d’œuvre. Mais je crois que l'État a une responsabilité d’accompagner ces entreprises en difficulté et elles ne devraient pas être nombreuses.
Avez-vous la conviction que le gouvernement mauricien et le milieu des affaires à Maurice ont bien pris la mesure des répercussions du BREXIT sur l’économie mauricienne ?
Le milieu des affaires mauriciens a travaillé dessus, de même que le gouvernement. Il y a eu des MoU signés avec la Grande-Bretagne, l’an dernier, dans ce sens. Et peut-être même que chacun, dans son coin, se prépare.
Mais il y a toujours un élément spéculatif dans la conséquence du BREXIT. Il y aura des imprévus. Nous avons des experts pour réduire ces incertitudes, mais même les experts se trompent.
Les Mauriciens sont dubitatifs quant à la capacité du gouvernement à régler la problématique de la criminalité, des violences conjugales et des accidents de la route et réclament le durcissement des lois. Sommes-nous en présence de problèmes sociétaux qui échapperaient à tout gouvernement ?
Le problème de la criminalité, tout comme celui des accidents de la route, est systémique, c'est-à-dire, qu'il y a plusieurs variables responsables de cette situation, et ce serait une erreur de penser qu'en durcissant le côté répressif, on réglera le problème. Il nous faut reconnaître que c'est le Mauricien dans son être dont il est question, ce qui implique que les problèmes que nous connaissons sont aussi l’expression d’une faillite de la famille, des religions, des groupes à jouer pleinement leur rôle de transmissions de valeurs. Voyez les « féminicides » : le meurtrier est presque toujours quelqu'un connu de sa victime tout comme dans les parricides ou matricides et les violences domestiques.
Évidemment, l'État a sa part de responsabilité, surtout dans exemple qu'il donne, les impunités, la perception du public du fonctionnement des institutions chargées de faire « justice » et « la justice à deux vitesses » qui s’est bien installée dans le vocabulaire mauricien.
L’opposition semble être réduite à sa portion congrue. Sera-t-elle capable de donner la parade au gouvernement ? Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, selon un article de presse non-démenti, se sont rencontrés. Que faut-il penser de cette rencontre ?
Le nombre de sièges est secondaire, il faut voir le pourcentage de l’électorat qui n'a pas voulu de ce gouvernement, et donc l’espoir que représente l'opposition pour un nombre important de Mauriciens. L'opposition doit donc jouer son rôle de chien de garde, car elle ventile la frustration de plus de la moitié des habitants du pays. Elle agit comme une soupape de sûreté !
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