En 2020 : l’économie sera une année…

Si la politique a pris le dessus en 2019, l’économie retrouvera-t-elle sa place au premier plan en cette nouvelle année ? Comment se portera-t-elle ? Quels seront les grands enjeux ? Et comment y faire face ? Éclairage.
Pramode Jaddoo… de défis
C’est une certitude : le Brexit entrera en vigueur à partir de fin janvier. Maurice aura à opérer dans un nouvel environnement qui est déjà précaire. D’ores et déjà, plusieurs grandes économies connaissent un ralentissement, notamment les États-Unis ou encore la Chine. De même, des pays concurrents à l’instar du Bostwana, du Lesotho ou encore de l’Afrique du Sud attirent des investissements étrangers et exportent sur les marchés où Maurice avait la primeur. Ce sont là autant de défis qui guettent Maurice en cette nouvelle année, selon Pramode Jaddoo. « Tous ces facteurs auront un impact sur le pays, qui, rappelons-le n’est qu’une petite île sans grandes ressources », avance l’économiste. Sur le plan local, le pays devra faire face à d’autres « grands défis ». Parmi eux, on retrouve les dépenses de l’État.
« Après le paiement de la pension, il y aura cette année-ci le Pay Research Bureau (PRB) et le salaire minimal qui augmente. Il faudra trouver les moyens de financer ces dépenses additionnelles », fait ressortir Pramode Jaddoo. Le chômage des jeunes est un autre « challenge » de 2020 qu’il faudra, poursuit-il, régler le plus vite possible « en créant des emplois rapides et productifs pour absorber ces potentielles ressources humaines ». L’économiste reste, cependant, confiant que l’économie mauricienne pourra relever ces défis. « Nous avons déjà fait face à de grands enjeux et nous avons toujours été résilients. Il y a un bon Dieu pour l’île Maurice », souligne-t-il. Il ne faudra, toutefois, pas compter sur la chance uniquement. La solution est de « générer suffisamment de richesses, de développer des secteurs additionnels, d’accélérer certains secteurs productifs qui stagnent ces dernières années », conclut notre interlocuteur.
Azad Jeetun… comme une autre au niveau de la croissance
2020 ne sera pas de tout repos pour l’économie mauricienne. Elle sera, d’abord, tributaire des événements internationaux. « Les incertitudes persisteront avec le Brexit et ses conséquences. Cela va affecter la croissance de l’Angleterre qui est un de nos partenaires économiques. Ce qui influera sur notre économie, notamment sur nos exportations et le tourisme », prévient Azad Jeetun. Le taux de change, avec une livre sterling « qui ne reprendra pas de sitôt » et un euro « qui restera faible », ne devrait pas arranger les choses. Sur le plan local, la situation ne sera pas mieux, avec plusieurs secteurs – manufacture, industrie sucrière, agriculture – qui ne sont plus compétitifs. « Pour pouvoir naviguer dans ce monde incertain, il faudra des mesures courageuses et novatrices. Il faudra un marketing agressif pour booster le tourisme et le secteur des exportations », avance l’économiste. Tout dépendra notamment, souligne Azad Jeetun, de la politique qu’adoptera le gouvernement.
« Si nous continuons sur la même voie que les précédentes années, notre taux de croissance continuera à tourner autour de 3,6 % et 3,7 % et on ne franchira pas le cap de 4 %. Il faudra des mesures pour chaque secteur. Sans cela, il n’y aura pas de saut en avant », conseille l’économiste.
Vishal Ragoobur… meilleure qu’en 2019
L’économie ne sera pas reléguée au second plan cette année contrairement à 2019, année marquée par les législatives. Tel est le sentiment du Dr Vishal Ragoobur. « Maintenant qu’un nouveau gouvernement s’est installé, il y a plus de visibilité. Ce qui renforcera l’élément de confiance chez les investisseurs et les entrepreneurs », explique l’économiste. Cela, poursuit-il, devra se refléter à travers des investissements privés. « Ce qui devrait contribuer à une amélioration au niveau de la croissance et de la création d’emplois », fait ressortir Vishal Ragoobur qui s’attend à ce que l’économie en 2020 soit meilleure qu’en 2019.
Toutefois, les défis ne manqueront pas. « Il faudra apporter des mesures concrètes face aux difficultés que rencontrent divers secteurs », recommande notre interlocuteur. Il faudra aussi surveiller la balance commerciale, ajoute-t-il. « Avec les augmentations salariales et la hausse de la pension, le pouvoir d’achat des Mauriciens sera amélioré. Ce qui devrait influer sur la consommation. Par contre, la majorité des produits de consommation sont importés. Ce qui risque d’affecter la balance commerciale », conclut-il.
Manisha Dookhony… de challenges
Une nouvelle année, mais aussi des défis à relever. Ce n’est pas Manisha Dookhony qui dira le contraire. L’un des premiers enjeux sera, selon l’économiste, de mettre en place des « mesures d’atténuation » au cours de cette nouvelle année pour aider les PME à « améliorer leur capacité à soutenir le niveau actuel des emplois et la rentabilité afin de prévenir les fermetures et les pertes d'emplois ». Cela, suite à la mise en place des mesures sur le salaire minimum et les heures de travail. « Nos PME vont faire face au challenge d’une masse salariale qui va augmenter. Certains envisagent de réduire le nombre d'employés. D’où l’importance de ces mesures d’atténuation. Cependant, je pense personnellement que le salaire minimum est une mesure importante et nécessaire. Alors que nous nous dirigeons vers une économie à revenu élevé dans les années à venir, nous devons nous attaquer aux problèmes sociaux de la disparité des revenus et le salaire minimum en fait partie », explique Manisha Dookhony.
La croissance du pays sera aussi un facteur à surveiller en 2020. « Certains de nos marchés vont être en croissance, mais l’Europe a diminué le taux de croissance attendu pour 2020, l’Inde fait face à des difficultés, l’économie sud-africaine ne va croître que de 0,8%. Avec la grande victoire de Boris Johnson, le Brexit est assuré. Tout cela aura un impact sur l’économie mauricienne », prévient l’économiste. D’où la nécessité, avance-t-elle, de diversifier la production et les marchés d’exportation. « Notre nouvel accord économique avec la Chine pourrait avoir des effets positifs sur l’économie. Une diplomatie économique plus soutenue envers les pays africains pourrait aussi aider dans cet élan de diversification », recommande-t-elle.
Manisha Dookhony exprime également des craintes sur notre croissance qui est basée sur la consommation. « Inciter à la consommation a une incidence sur un fort taux d’endettement des ménages. Cet endettement peut amener à la précarité rapidement à la suite d’un imprévu. Le challenge serait de mettre en place des mesures pour prévenir cet endettement et soutenir ceux qui sont dans la précarité », conseille-t-elle.
L’autre « grand challenge » est le chômage des jeunes, avance Manisha Dookhony, qui, estime qu’ouvrir des opportunités à ces derniers devra être une « priorité majeure » pour le gouvernement. « Mais cela ne devra pas être que des nouveaux emplois gouvernementaux. Il faudrait plutôt aider le secteur privé à créer plus d'emplois. Le challenge de la diversification de l'économie devient encore plus urgent, car nous devrons absorber le chômage actuel ainsi que le niveau de chômage dans le futur », recommande-t-elle. Et de conclure : « l’autre challenge serait de promouvoir l’investissement du secteur privé. Par ailleurs, nous sommes une économie à fort challenge environnemental. Ainsi nous ne devons pas dissocier l’environnement de l’économie car il y a un lien fort entre les deux. Il n’y a qu’à voir l’impact de l’environnement et l’écologie sur le développement touristique. Nous devrons développer des pôles de croissance économique circulaire pour résoudre les challenges écologiques du pays. »
Ganessen Chinnapen… à relever les défis
« 2020 va repenser le paysage économique mondial en tenant compte de la guerre commerciale géopolitique et le Brexit », souligne Ganessen Chinnapen. L’économie mauricienne, ajoute-t-il, devra relever plusieurs défis. « Nous devons corriger le creusement de notre déficit commercial, adopter un mécanisme pour rendre les finances publiques viables et en même temps créer un environnement propice à l’investissement pour stimuler la création d'emplois et de la valeur ajoutée », recommande l’économiste.
Éric Ng...difficile
La situation sera difficile pour l’économie mauricienne en 2020, insiste l’économiste Éric Ng. Difficile notamment pour les secteurs traditionnels tels que le sucre, le tourisme, le textile ou encore le global business. « Au niveau du sucre, la question de prix bas au niveau international sera toujours d’actualité. Du côté du textile, la fermeture des usines et les pertes d’emplois se poursuivront en raison des incertitudes sur le marché d’exportation de l’Angleterre et de l’Europe. Sur le plan du tourisme, nous sommes de moins en moins compétitifs comparativement aux Seychelles et aux Maldives », résume Éric Ng.
Le global business, ajoute-t-il, est un secteur de plus en plus réglementé. « L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Union européenne sont plus stricts au niveau de la planification fiscale dans le monde. Nous devons compter que sur nos atouts non fiscaux pour faire face à la concurrence », ajoute-t-il. Pour relever ces défis, Éric Ng conseille trois choses. « D’abord, il nous faudra créer un environnement plus propice et plus flexible à faire des affaires. Il faudra attirer des compétences étrangères pour diversifier l’économie. Et, troisièmement, le maître-mot en 2020 devrait être la diversification de l’économie », recommande l’économiste.
Chandan Jankee… de continuité
L’économie en 2020 demeurera résiliente avec la continuité dans les projets nationaux et sociaux, estime le Dr Chandan Jankee. Cela, ajoute-t-il, aboutira à un « taux de croissance supérieure » et à « la hausse de la qualité de vie des Mauriciens, surtout ceux au bas de l’échelle ». « En tant qu’économiste, j'attends le plan détaillé de la stratégie gouvernementale et je suis confiant que les problèmes structurels et institutionnels qui guettent le pays seront adressés. Cela nous emmènera davantage vers une économie digitale pour moderniser et diversifier les pôles de croissance qui seront la base pour une économie à haut revenu », fait-il ressortir. L’économiste attend aussi que le secteur privé soit « un catalyseur » qui « collaborera pleinement pour atteindre les objectifs économiques et sociaux ».
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