Aurélie Léclézio, CEO de MCB Microfinance : «La population doit être sensibilisée à privilégier le local et l’authentique» | Défi Économie Aller au contenu principal

Aurélie Léclézio, CEO de MCB Microfinance : «La population doit être sensibilisée à privilégier le local et l’authentique»

Aurélie Léclézio

Beaucoup a été dit sur les micro-entreprises, leur rôle dans la société mauricienne et leur capacité de développement. Dans l’interview qui suit, Aurélie Léclézio, CEO de MCB Microfinance, remet les pendules à l’heure contre tout discours langue de bois sur la réalité socio-économique de ce type d’entreprises et réaffirme leur importance « dans une société où la « modernité » est trop souvent représentée par l’accès à des produits importés, hautement industrialisés ».

« Le micro-entrepreneur doit s’assurer que son offre réponde bien à une demande, et l’ajuster avec le temps si besoin. »

Quel constat faites-vous de l’état de santé des micro-entreprises à Maurice ?
Une micro-entreprise se définit, de toute façon, entre autres, par sa vulnérabilité. En général, je ne pense pas que nous ne puissions dire que les micro-entreprises se portent bien dans une société où la « modernité » est trop souvent représentée par l’accès à des produits importés, hautement industrialisés, etc. Par contre, il y a, heureusement, de plus en plus une prise de conscience et un retour aux sources, un nouvel intérêt pour l’authentique, le local, le typique.

Quelles sont leurs capacités de développement à Maurice, qui est caractérisé par la taille de son marché ?
La taille du marché mauricien ne devrait pas représenter un obstacle, du moment que le système accorde une place aux moins « gros » et valorise leurs produits et services.

On a souvent pointé du doigt le mimétisme dans cette activité, et l’absence d’innovation et de valeurs ajoutées dans ce type d’entreprises qui se livrent à une concurrence féroce. Comment traitez-vous cette problématique ?
Les micro-entreprises détiennent souvent un savoir-faire traditionnel important qui contribue au patrimoine culturel de notre pays et qui n’est pas sans valeur ni attrait. Il leur faut par contre sans doute mieux s’adapter à la demande et innover en termes de positionnement marketing.

Un des traits majeurs de ces entreprises est le caractère familial, ce qui peut être une entrave à leur expansion, l’âge des opérateurs et leur niveau de formation. Est-ce de véritables défis ?
En général, je ne pense pas qu’il faille systématiquement souhaiter aux « petits » de devenir « gros ». Un plus gros chiffre d’affaires ne veut pas forcément dire un plus gros profit, ou tout au moins une meilleure qualité de vie pour le micro-entrepreneur et sa famille. Ce qui importe le plus de considérer c’est la capacité du micro-entrepreneur à pouvoir vivre et faire vivre sa famille grâce à son activité, tout en améliorant continuellement sa qualité de vie. Nous ne voyons dans ce cas pas forcément l’entreprise « grandir » mais plutôt la famille. L’activité permet par exemple aux enfants d’étudier et, dans le scenario idéal, ils pourront par la suite contribuer à son expansion en lui apportant leur expertise. Il est vrai, par contre, que dans certains cas, les enfants ne souhaitent pas toujours prendre la relève…

Comment la méthodologie que vous faites valoir constitue-t-elle une réponse concrète aux maux dont ont toujours éprouvés les micro-entreprises mauriciennes, notamment en gestion, en état d’esprit, entre autre ?
Nous ne prétendons pas soigner tous les maux. Notre objectif principal consiste à faciliter l’accès au crédit pour les micro-entrepreneurs. Nous analysons la gestion, l’état d’esprit de l’entrepreneur, et considérons les facteurs de risque afin d’approuver ou rejeter une demande de crédit, mais nous ne nous positionnons pas comme conseillers. Ce n’est pas notre métier. Par contre, nous nous attachons autant que possible à encourager nos clients à tenir une petite comptabilité. Nous les sensibilisons aux avantages d’avoir une meilleure visibilité sur leurs revenus, dépenses, et profits.

Une autre des problématiques qui caractérisent ce secteur est l’absence de normes, tant en alimentation (recours aux intrants inappropriés dans les ‘dhollpuris’ et autres mines et riz frits et souvent mal conservés, rupture de chaîne de froid) qu’en produits non-alimentaires. Comptez-vous inclure ces facteurs dans vos conditions de prêts et de soutien, car, il arrive que des clients abandonnent tel ou tel marchand après avoir constaté ces faits… ?
Nous considérons effectivement  et également la réputation des clients lors de l’analyse de leurs dossiers car, en effet, leurs négligences peuvent finir par leur coûter cher. Nous ne nous substituons néanmoins à aucune autorité.

Est-ce que le seul crédit bancaire suffit-il pour soutenir les micro-entreprises ? Quel doit être le climat ambiant des affaires ?
Définitivement pas. Un crédit ne peut soutenir un micro-entrepreneur que s’il a, d’une part, un réel besoin justifié ou projet pertinent, et d’autre part, bien sûr, s’il a la capacité de rembourser le fameux crédit. Le micro-entrepreneur doit s’assurer que son offre réponde bien à une demande, et l’ajuster avec le temps si besoin. De plus, la population doit être sensibilisée à privilégier le local et l’authentique.

Comment définiriez-vous un micro-entrepreneur, en termes d’attitude, de culture managériale et d’ambition ?
Un micro-entrepreneur est libre, débrouillard, et résilient. Il vit souvent au jour le jour et n’a pas vraiment le luxe de prendre le temps du recul pour réajuster son offre, développer des stratégies. Il peut aussi arriver qu’il manque un peu de confiance en lui et n’ose pas toujours voir plus loin, plus grand.

Est-ce que la situation économique – croissance à moins de 4 %, climat d’incertitude et économie volatile - est-elle favorable à des prises de risque ?
La situation économique n’est sans doute pas idéale mais quel que soit le contexte, la prise de risque doit être avant tout judicieuse et réfléchie. À notre niveau, nous nous efforçons de bien comprendre et analyser le besoin ou projet de nos clients, afin de mieux nous assurer de son impact positif potentiel sur l’activité concernée.

À quelles conditions les micro-entreprises peuvent-elles être un moyen de lutte contre la pauvreté mais aussi une solution au problème de croissance ?
Les micro-entreprises contribuent à un écosystème socio-économique. Elles offrent souvent un service décentralisé, de proximité, et plus de flexibilité. Elles permettent à faire vivre des familles entières, tout en leur offrant un emploi, une place active dans la société, peu importe leur formation académique. Elles contribuent à proposer une offre variée, et non aseptisée. Sur le plan culturel, les micro-entreprises permettent de préserver un savoir-faire traditionnel, et participent au folklore mauricien. Enfin, qui sait, pour finir gros, faut bien commencer micro ! Les micro-entreprises ne doivent donc pas être négligées, oubliées. Nous devons littéralement leur faire de la place, les valoriser, tout en les guidant, et les responsabilisant.