Nirmal Kumar Betchoo : «Maurice a réussi les transitions économiques décisives à partir de la monoculture sucrière» | Défi Économie Aller au contenu principal

Nirmal Kumar Betchoo : «Maurice a réussi les transitions économiques décisives à partir de la monoculture sucrière»

Nirmal Kumar Betchoo
Nirmal Kumar Betchoo doyen de la faculté de l’Économie et de la Gestion à l’Université des Mascareignes

Nirmal Kumar Betchoo, docteur en Business Administration et doyen de la faculté de l’Économie et de la Gestion à l’Université des Mascareignes, estime que le modèle économique de Maurice reste pertinent face aux mutations que connaît le pays et aux transitions économiques internationales, car il repose sur un compromis équilibré entre l’État et le secteur privé.

« … il faut aussi investir dans des domaines aussi novateurs qu’indispensables pour notre compétitivité, comme l’intelligence artificielle. »

Est-ce que notre modèle de développement adopté au lendemain de l’indépendance marche-t-il toujours ?
Oui, parce qu’il repose sur un compromis équilibré, entre un État qui offre des services sociaux aux personnes vulnérables et un secteur privé qui assure le développement, dans le respect des droits fondamentaux des salariés. Je pense qu’il faut saluer la vision de sir Seewoosagur Ramgoolam, un pur produit de la Fabian Society qui, de retour à Maurice, avait compris les défis d’un pays complexe dont il fallait éviter les tentatives des idéologies extrêmes. Le gouvernement d’alors a axé sa stratégie sur l’éducation, l’emploi, la santé publique. Pour sortir de la pauvreté, il a compté sur l’entreprise privée. À l’époque, l’économie reposait sur un seul pilier, le secteur sucre. On était encore dans une économie à revenus bas. Le Welfare State a pleinement rempli ses fonctions et c’était une décision courageuse d’offrir des services de base gratuits à la population à un moment où l’ile Maurice avait des moyens de développement limités.

Certains économistes et observateurs prônent une refondation de cette stratégie de développement ?
Cela signifierait la remise en question des fondements de la stratégie qui a donné des résultats, mais pour quelle alternative? Certes, on peut toujours faire mieux, mais rompre avec un modèle qui a marché relèverait d’une expérience risquée, à un moment où l’incertitude plane sur la situation de l’économie mondiale. Je note plutôt que Maurice a réussi les transitions économiques décisives à partir de la monoculture sucrière pour diversifier les bases économiques.

Aujourd’hui, trois secteurs sont en proie à des difficultés, l’industrie sucrière, le textile, le tourisme. Faut-il avoir des inquiétudes ?
Il faut traiter ces difficultés avec tout le sérieux qui s’impose. Mais, en ce qui concerne le secteur sucrier, nos différents gouvernements et les sucriers étaient au courant de la fin des protocoles qui ont longtemps garanti au sucre mauricien un quota et des tarifs préférentiels auprès de nos clients sur le marché international. Par conséquent, ils ont eu le temps de se préparer à cette échéance, ce qui a permis de diversifier dans des produits canniers et dans les bioénergies. Quant au tourisme, il faut être réaliste : on ne peut gagner sur tous les tableaux, car cette industrie s’est bâtie sur le marché européen, aussi si on veut également diversifier sur les marchés indien et chinois, il ne faut pas fragiliser la clientèle européenne.  Il faut cerner au plus près les attentes de la clientèle indienne et chinoise, en étudiant leurs profils pour y répondre.

Il faut aussi avoir en tête que le pouvoir d’achat dans nos principaux marchés est en baisse, nos clients traditionnels recherchant des destinations à portée de leurs revenus, en tenant compte du fait que le voyage à Maurice coûte cher… Par ailleurs, nous ne connaissons toujours pas les conséquences du Brexit. Cela dit, à Maurice, les investissements ont été constants en infrastructures modernes pour rendre plus aisés les voyages à l’intérieur de Maurice, tant pour les Mauriciens que les étrangers, mais on ne pourra pas ressembler à Dubaï ou aux Seychelles. S’agissant du secteur textile, nous sommes confrontés à des pays qui sont très compétitifs grâce leur main-d’œuvre bon marché et abondante et qui produisent en volumes, mais nous avons l’avantage d’avoir des produits de qualité, reconnus par nos clients. Est-ce que c’est suffisant, difficile de le dire ? Des pays comme Madagascar, le Rwanda ou la Turquie ont des coûts de production très bas. Je pense qu’il faut chercher des accords commerciaux ou encore essayer de réaliser le filage à Maurice. Une autre réponse à cette situation reste le recours à la créativité, à l’innovation et la valeur ajoutée.

Quel est l’état de la formation dans ce domaine. Peut-il apporter une réponse à cette problématique ?
Nous avons pris une bonne décision de créer une école de ‘Fashion & Design’ pour former nos jeunes. Mais, il faut aussi investir dans des domaines aussi novateurs qu’indispensables pour notre compétitivité, comme l’intelligence artificielle. Il faut axer cette stratégie sur les compétences locales et sur les membres de notre diaspora. Je pense à quelqu’un comme Ramesh Caussy, l’inventeur du robot Diya, mais il n’est pas le seul… C’est un domaine qui a ouvert des perspectives nouvelles sur la sphère médicale, le secteur éducatif et la recherche, entre autres.

Mais l’appel à la diaspora ne semble pas avoir été entendu…. Pourquoi ?
Je ne sais pas trop... Il faut peut-être offrir des conditions de vivre acceptables aux professionnels mauriciens de notre diaspora, sans aucune coloration politique. Il faut mettre à l’avant l’attractivité de Maurice, mais avant tout, il faut que prévale chez ces Mauriciens un véritable attachement à leur pays. C’est aux organismes de développement et d’investissement, à commencer par l’Economic Development Board (EDB) d’organiser des conférences à Maurice et à l’étranger pour sensibiliser les professionnels mauriciens établis à l’étranger.

Des organisations de gauche comme Lalit et Rezistans ek Alternativ arguent qu’il faut convertir les champs de cannes en terrains agricoles pour répondre à l’autosuffisance alimentaire…
Il faut certainement reconvertir une partie de ces champs, mais il ne faut pas mettre fin à la diversification dans l’industrie cannière, où on a réussi, entre autres, à produire de l’électricité à usage domestique. Par ailleurs, il faut se rendre compte que les terres qui ont été choisies pour la culture de la canne  à sucre à l’époque des Hollandais et Français l’ont été en raison de leur topographie et de leur nature, pas pour d’autre cultures.  Je pense que la question de l’autosuffisance alimentaire est très intéressante, pas que pour les légumes, mais aussi pour le lait et le thé, une denrée dont le prix ne cesse de grimper en raison d’une demande toujours croissante.

Une des questions qui continue de faire débat est celle qui concerne le ciblage de la pension. N’est-il pas grand temps d’y penser ?
Cette question revient régulièrement sur le tapis et, à chaque fois, elle est repoussée. Avec raison parce que les économies qu’on réaliserait à partir du ciblage n’apporteront pas grand-chose aux caisses de l’État. En revanche, une telle décision risquerait de créer une situation chaotique.

Un des grands absents de la diversification est l’économie bleue, un secteur qui n’a jamais décollé. Comment l’expliquer ?
Je pense que nous manquons d’expertise et de compétences. Pourtant, l’étendue de notre zone économique exclusive, qui est de 2,3 millions km, est prometteuse pour la mise sur pied d’une véritable industrie de la pêche, car l’océan Indien représente l’une des principales zones de pêche au monde, sans oublier l’usage que l’on peut faire d’eaux profondes pour la climatisation. Toutefois, contrairement à l’industrie sucrière et à celle du tourisme, l’exploitation économique de l’océan semble abstraite et complexe et exige de lourds investissements. Aussi, est-il indispensable de rechercher le soutien des pays comme le Japon ou l’Inde pour appréhender ce secteur dans tous ses aspects, car la pêche internationale est très réglementée.

Des observateurs et économistes à l’étranger estiment que les suites de la crise des ‘subprimes’ se font toujours ressentir et que l’état de l’économie mondiale reste incertain. Quelles seraient les conséquences pour Maurice ?
À chaque étape difficile de notre histoire, nous avons réussi à sortir la tête hors de l’eau, mais il est vrai que l’économie mondiale est devenue très volatile. Nous n’y pouvons rien, en revanche, nous pouvons agir sur les dépenses des institutions publiques et parapubliques et y apporter davantage de transparence au nom de la bonne gouvernance. Puis, il faut mieux planifier les projets de développement afin d’éviter les gaspillages, enfin et non des moindres, il faut une réelle prise de conscience environnementale et il incombe avant tout au citoyen de maintenir le pays propre. Si le Mauricien a su montrer un élan patriotique pour les Jeux  des îles, il peut le faire encore. Malheureusement, le manque de civisme et les mauvaises habitudes semblent avoir repris leurs droits.