Barlen Pillay, secrétaire général de la MCCI : «La valeur économique des entreprises repose sur l’innovation et la propriété intellectuelle»

Maurice peut devenir une plateforme régionale pour enregistrer la propriété intellectuelle et la mettre à la disposition des opérateurs de la région grâce à la mise en vigueur de l’Industrial Property Act, une loi récemment votée. C’est l’avis que partage Barlen Pillay, secrétaire général de la Mauritius Chamber of Commerce and Industry (MCCI).
« Maurice a choisi depuis de nombreuses années d’interdire l’importation parallèle. »
L’Industrial Property Act a été récemment votée à l’Assemble nationale. Quelles sont ses implications ?
Cette loi est une bonne chose pour le développement économique du pays. La vision nationale 2030,partagée par les secteurs public et privé, souhaite projeter Maurice dans la catégorie « high economies». La stratégie pour y arriver s’appuie logiquement sur l’innovation et la créativité en faisant de Maurice un hub technologique dans la région. C’est la culture de l’innovation qui apporte une meilleure productivité et la croissance économique. Cependant, afin de promouvoir l’innovation et la créativité, Maurice ne possédait pas le cadre légal adapté à ses ambitions. C’est chose faite avec cette loi. Le texte permet de mieux de protéger les droits des créateurs et des inventeurs. La propriété intellectuelle est ainsi reconnue pour sa valeur ajoutée dans le développement économique de Maurice, cela par rapport aux standards internationaux, notamment ceux de la World Intellectual Property Organization (WIPO).
Quelle est l’importance de protéger les propriétés intellectuelles ?
Dans le monde économique globalisé, la compétition est féroce et les avantages compétitifs s’appuient souvent sur les innovations et les nouvelles technologies. Par conséquent, les créateurs et les inventeurs recherchent en priorité à protéger leurs droits de propriété intellectuelle. Celle-ci est aujourd’hui considérée comme la catégorie d’actifs la plus précieuse au niveau mondial. Jusque dans les années 80, les biens/actifs corporels représentaient 80 % de la valeur d’une compagnie. Aujourd’hui, c’est l’inverse : les biens incorporels (dont la propriété intellectuelle) représentent plus de 80 %. La valeur économique des entreprises aujourd’hui repose de plus en plus sur l’immatériel, l’innovation et la propriété intellectuelle (exemple : Alibaba, Uber, Google, Facebook). Pour encourager nos opérateurs et entreprises à innover et inventer, il faut avoir un cadre pour protéger leurs inventions et créations efficacement, basé sur des «best practices » internationales.
« La propriété intellectuelle est aujourd’hui considérée comme la catégorie d’actifs la plus précieuse au niveau mondial. »
Dans quelle mesure cette loi contribuera-t-elle au développement économique de notre pays ?
Nous sommes convaincus que le développement économique de notre pays se trouve dans l’innovation et la créativité. De par notre taille et notre niveau de développement, le pays n’a d’autre choix que d’évoluer vers le haut - l’adoption d’une telle loi et le travail de suivi, de promotion, d’encouragement sont essentiels pour créer de la richesse et des emplois à Maurice. Cette loi comprend également les traités internationaux auxquels Maurice adhère, le Protocole de Madrid concernant l’enregistrement international des marques commerciales ; la Patent Coopération Treaty pour l’enregistrement des brevets et la convention de La Haye concernant l’enregistrement des dessins industriels.
La nouvelle loi et l’adhésion à ces trois importants traités visent à conférer à Maurice le statut d’I.P hub où les inventeurs et créateurs viennent enregistrer leurs inventions et marques avec une reconnaissance internationale. L’idée c’est également d’accompagner le développement économique des pays africains en agissant comme plateforme pour la propriété intellectuelle.
Certains opérateurs ont exprimé leur mécontentement de l’article 98 de la loi. Ils craignent le risque d’une situation de monopole dans quelques secteurs et estiment que les petits commerçants seront pénalisés. Votre point de vue ?
D’abord, parlons du droit du propriétaire intellectuel d’une marque. L’inventeur/créateur de la marque a certainement investi du temps et des ressources pour créer et développer sa marque. Dans tous les pays, ce droit est reconnu par l’État qui lui accorde notamment l’exclusivité dans l’exploitation de ces droits. C’est en cela que cette reconnaissance, garantie par le droit, constitue une très forte incitation pour les opérateurs à inventer, créer et développer leur marque. Le fait qu’un opérateur ait pu créer, investir et développer sa marque à travers des contrats de distribution exclusifs, est reconnu par la loi et la Cour suprême de manière constante. Si un concurrent veut exploiter la même marque, il doit obtenir le consentement de celui qui possède des droits exclusifs sur le territoire ou alors créer, investir et développer une autre marque qui pourra concurrencer la marque présente.
Faut-il ouvrir la porte à l’importation parallèle pour libéraliser le commerce dans l’ile ?
L’Organisation mondiale du commerce reconnaît l’importance de protéger des droits de la propriété intellectuelle mais reconnaît à chaque pays le droit de choisir ou non d’adopter une politique d’importation parallèle. Maurice a choisi depuis de nombreuses années d’interdire l’importation parallèle et la nouvelle loi adoptée maintient effectivement cette situation. L’importation parallèle peut décourager l’investissement et l’innovation et porter atteinte à la réputation d’une marque. La maison-mère, qui possède ces marques, doit avoir la possibilité de contrôler la distribution de ses produits, car il existe entre différents territoires et marchés des spécificités importantes en termes de loi, standards, taxes, climats, pouvoir d’achats, goûts, cultures. Les produits sont souvent élaborés et distribués par rapport à l’environnement général d’un marché donné. Par ailleurs, la maison-mère et le distributeur exclusif investissent pendant de nombreuses années dans le marketing, la formation du personnel, les services après-vente, voire des facilités industrielles pour pouvoir conquérir et fidéliser une clientèle. L’importation parallèle, si elle est autorisée, permettra à d’autres de bénéficier de ces investissements sans y avoir contribué, ce qui est injuste. Afin d’arriver à ces conclusions, la MCCI s’est fondée sur des études économiques sérieuses, notamment une étude complète de la Chambre de Commerce Internationale (ICC) auprès de l’ensemble de ses membres à travers le monde. Nous nous sommes basés également sur des études de la London School of Economics, de l’OCDE, de la Banque mondiale…
Quel sera l’impact de cette loi sur les consommateurs? Et qu’en sera-t-il de leurs droits ?
Certains pensent que l’importation parallèle augmenterait la concurrence entre opérateurs économiques et mécaniquement conduirait à une baisse générale des prix au bénéfice des consommateurs. Cette opinion n’est pas démontrée ni par les études ni par des exemples pratiques. Ce qui est certain, c’est que l’importation parallèle va réduire l’incitation pour le distributeur, voire de la maison-mère à investir dans des services après-vente, de marketing et que l’importation, elle, n’aura pas intérêt à investir dans ces services. Ce qui fait qu'au final réduire ce genre de services aux consommateurs. Le prix n’étant pas l’unique critère d’importance pour les consommateurs qui veulent également en plus des services et le choix des produits.
Quel est le positionnement de Maurice sur l’Industrial Property dans la région ?
Cette loi, différentes mesures et autres initiatives ont vocation à positionner Maurice comme un IP hub dans la région. Non seulement Maurice a besoin d’innovation pour son développement économique mais les pays africains également et Maurice peut devenir cette plateforme régionale pour enregistrer la propriété intellectuelle et la mettre à la disposition des opérateurs de la région grâce à notre nouvelle loi. La MCCI joue un rôle prépondérant dans cette stratégie de sorte que nos opérateurs économiques soient de plus en plus familiers et utilisent les droits de propriété intellectuelle pour devenir plus efficaces et plus compétitifs. D’où la mise en œuvre avec l’Union européenne d’une plateforme de transfert de technologie entre les organisations d’innovation européennes et nos opérateurs mauriciens.
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