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Sportivement vôtre

ERIC NG PING CHEUN
ERIC NG PING CHEUN

Alors que l’île Maurice célèbre sa toute première victoire aux Jeux des îles de l’océan Indien, il convient de comparer le sport à l’économie. Pour gagner, le Club Maurice a dû récolter le plus grand nombre de médailles d’or. Pour sortir premier d’une compétition, c’est la performance seule qui a compté. Pour être performant, il a fallu beaucoup d’efforts, de discipline et de travail sur soi. Et tous les médaillés ont été récompensés à juste titre.

Or, les valeurs que nous louons en sport sont aussi celles que requiert une économie performante. Pourquoi reconnaissons-nous le talent individuel dans une discipline sportive, mais pas chez l’entrepreneur qui crée des emplois ? Pourquoi exigeons-nous le maximum d’efforts chez les athlètes, mais pas la productivité parmi les travailleurs ? Pourquoi acceptons-nous de rémunérer différemment les médaillés d’or, d’argent et de bronze, mais pas l’inégalité salariale dans l’entreprise ? Si nous pouvons appliquer les principes économiques au sport (compétition, performance), nous devrons promouvoir l’esprit sportif dans l’économie (mérite, justice procédurale).

Dans une épreuve sportive, les participants doivent respecter des règles de juste conduite de manière égale (même procédure pour tous). Elles leur ouvrent seulement des chances, et non la certitude d’une issue définie. Dans la mesure où il y a des gagnants et des perdants, il n’existe pas de justice de résultat. Les résultats dépendent en grande partie des talents personnels. On n’est toutefois pas certain que les résultats seront en proportion des aptitudes des compétiteurs : l’arbitre peut faire en sorte que personne ne triche, mais pas que personne ne trébuche ! Le vainqueur sera celui qui a le mieux fait, pas toujours le meilleur, comme au foot !

De même parmi les entrepreneurs, les règles de la concurrence peuvent seulement accroître les chances de réussir de chacun, mais dont les possibilités sont tributaires principalement de ses connaissances particulières et des conditions de lieu et de moment où le hasard l’aura placé. Dans le jeu du marché, le succès ne sourit pas nécessairement à celui qui est le plus doué, mais certainement à celui qui a le sens des affaires. Il s’agit de résultats qui ne peuvent être qualifiés ni de justes ni d’injustes parce qu’ils se produisent dans des circonstances qui ne sont ni voulues ni prévues. On voit bien dans la vie, selon L’Ecclésiaste (9, 11), « que la course n’appartient pas aux plus robustes, ni la bataille aux plus forts, ni le pain aux plus sages, ni la richesse aux plus intelligents, ni la faveur aux plus savants ».

Les médaillés d’or sont des superstars parce qu’ils sont dotés d’un rare talent. Ils sont adorés par des milliers de fans prêts à payer pour les voir en action : l’offre est faible face à une forte demande. Les athlètes de haut niveau s’attribuent une grande valeur pour la même raison que les diamants sont très chers bien que n’étant pas aussi essentiels que l’eau : c’est la rareté qui dicte le prix.

Sans doute un médaillé d’or vaut plus que Rs 50 000. Mais tous les champions n’ont pas la même valeur. Tout comme celle d’un bien, la valeur d’un sportif est déterminée par les préférences des consommateurs : ce sont eux qui génèrent les revenus des ventes de tickets et des droits de retransmission télévisée. La rémunération d’un sportif dépend forcément de sa capacité à attirer des foules. Un match quelconque peut être hautement valable en soi, mais si très peu de gens sont disposés à payer pour le regarder, il a une faible valeur économique.

De ce point de vue, on demeure sceptique devant l’assurance donnée par le ministre des Sports quant à la rentabilité du complexe sportif de Côte d’Or, bâti au coût de Rs 4,7 milliards. En 1871, en précurseur de la révolution marginaliste, Carl Menger postulait que la valeur d’un bien final ne provient pas de la valeur des facteurs de production, mais que celle-ci est attribuée via la valeur que les consommateurs accordent au bien. Ainsi, si le complexe est peu exploité, la valeur des facteurs utilisés pour le construire changera : le terrain aurait pu servir à une activité plus productive.

Le seul fait que ce complexe n’a pas été mis à contribution pour les JIOI témoigne du gaspillage de l’argent des contribuables. Aussi, le piteux état du Stade George V ne justifie nullement les Rs 94 millions de fonds publics engagés pour sa rénovation. Largement subventionnée par les pouvoirs publics et des sociétés d’Etat, l’organisation des JIOI 2019, n’en déplaise au CEO du comité organisateur, n’a pas eu des retombées économiques palpables, en termes de tourisme, de restauration, d’emplois et de recettes fiscales. L’impact réel des investissements publics dans les infrastructures sportives est négligeable.

Il faut pourtant que les grands événements sportifs soient des opportunités d’attractivité de l’île Maurice, au moment où son secteur offshore devient de moins en moins attrayant. Le sport peut être un facteur de rayonnement pour le pays, un vecteur de croissance économique à travers l’exportation d’un savoir-faire organisationnel. Pour cela, il est nécessaire de préserver l’intégrité et l’éthique du sport, renforcer la transparence des clubs sportifs et garantir une gouvernance irréprochable du secteur sportif.

Le sport est organisé sous forme associative, les organisations chargées de sa gestion jouissant d’une grande autonomie. Mais vu la grossière récupération politique des JIOI, elles n’ont pas établi leur indépendance vis-à-vis du gouvernement. Au lieu de se mêler du sport, comme il le fait de l’économie, l’Etat devrait se contenter de promouvoir l’activité physique à tous les âges de la vie. Le poste « Recreational and Sporting Services », représentant moins de 0,5 % du budget de l’Etat en 2019-2020, devrait être revu à la hausse. Sachant que le sport est complémentaire au travail, et non aux congés publics.