Nouvelles lois du travail : ca passe ou ça casse

Les nouvelles lois du travail tant attendues font débat. Cela fait longtemps que les syndicats avaient décrié la rigidité de l’Employement Relations Act et l’Employment Rights Act. L’objectif des nouvelles lois est de consolider les relations industrielles et mieux protéger les droits des travailleurs. Mais est-ce que ces lois répondent-elles aux attentes des principaux acteurs du marché du travail ?
Plus de dix ans après son introduction, l’Employment Rights Act 2008 sera remplacée par le ‘Workers’ Rights Bill’ alors que l’Employment Relations Act sera amendée à travers un nouveau projet de loi, l’Employment Relations (Amendment) Bill. Fait nouveau, le Portable Gratuity Fund deviendra enfin une réalité. Un comité technique se planchera sur les modalités requises pour son avènement et soumettra ses recommandations à la fin de juillet. Dans le même souffle, le gouvernement veut que les rapports du National Remuneration Board (NRB) soient publiés chaque cinq ans.
Mais qu’est-ce qui change avec les nouvelles lois? Les amendements à l’Employment Relations Act veulent consolider les relations professionnelles entre travailleurs, syndicats et employeurs grâce à un meilleur mécanisme de négociations collectives, de dialogue et de règlement des différends. Parmi les faits saillants, on note la réduction du seuil de reconnaissance pour un syndicat de 30 % à 20 %, c’est-à-dire un nouveau syndicat sera reconnu s’il compte 20 % du nombre d’employés de l’entreprise ou du secteur alors que le seuil actuel est de 30 %; la mise sur pied d’un ‘National Tripartite Council’ et plus de pouvoirs au tribunal pour réintégrer un employé licencié si ses droits avaient été lésés, entre autres.
La Workers’ Rights Act, qui abrogera l’actuelle Employment Rights Act, se veut être une loi moderne et complète pour remédier aux lacunes tant décriées de la loi actuelle. Cette loi protègera davantage les travailleurs en élargissant la définition de la discrimination. De plus, elle protègera les travailleurs contre l’emploi précaire. Les contrats à durée déterminée seront revus alors qu’une personne qui effectue un travail atypique, comme par exemple manier une plateforme en ligne, aura le statut de travailleur formel. L’employé pourra aussi faire viser tout accord par un représentant légal ou syndical de son choix ou un représentant du ministère du Travail.
La nouvelle loi veut promouvoir les relations familiales en proposant la flexibilité tant au niveau des horaires que les modalités de travail. Les congés seront revus, avec l’introduction d’autres types de congés. Par ailleurs, l’employeur pourra être tenu responsable, selon les circonstances, pour tout acte de violence dont subit un employé sur le lieu de travail. À noter que Business Mauritius organise un programme de familiarisation avec les nouvelles lois du travail le 31 juillet.
Les innovations
- La nouvelle législation introduit le concept de ‘compressed hours’, c’est-à-dire un ouvrier ultra-performant qui termine sa tâche en moins de temps que prévu sera payé pour toute la durée allouée à cette tâche.
- Un représentant du ministère du Travail pourra demander un Protective Order auprès d’un juge en chambre pour avoir recours aux finances d’un employeur afin d’indemniser un employé qui n’a pas été payé.
- Un employé qui a travaillé au moins 5 ans pour le même employeur aura droit à deux mois de congé chaque 5 ans, avec un mois payé.
- Dans le cas où un employé compte plus de 12 mois de service, il aura droit à six jours de congé payés à l’occasion de son mariage, trois jours de congé payés à l’occasion du mariage de son fils ou de sa fille et trois jours de congés payés en cas d’un décès dans sa famille immédiate.
Pradeep Dursun : « Attendons les conclusions de notre comité technique »
Suite aux commentaires des syndicalistes, nous avons voulu recueillir la réaction de Business Mauritius. Pradeep Dursun, le Chief Operating Officer, nous a dit que ce sont des lois très importantes qui auront un impact certain sur l’économie. « Vu l’envergure de ces lois et étant donné qu’il n’y a pas eu de consultations, nous allons instituer un comité technique pour analyser les amendements et ensuite venir avec nos conclusions, donc je ne peux commenter pour l’instant », a dit Pradeep Dursun.
Après les vigiles, les garde-malades
Ivor Tan Yan trouve aberrant que la loi prescrit une journée de travail de 12 heures pour un ‘garde-malade’. Dans le passé, il y a eu l’épisode des vigiles dont la longue journée avait été décriée. « Avec le vieillissement de notre population, la demande pour les garde-malades augmentera mais croyez-vous que ce métier attirera des gens s’il faut travailler douze heures ? » se demande-t-il. Il rappelle que c’est un métier sous tension et que nous allons exposer nos seniors à des difficultés.
Ivor Tan Yan : « Il faut voir l’implémentation de la loi »
Ivor Tan Yan, négociateur de la Federation of Progressive Unions et président de 100 % Citoyennes, nous dit qu’il est trop tôt pour dire si les nouvelles lois du travail sont bonnes, tant que nous ne voyons pas l’implémentation et les résultats. Néanmoins, il est d’avis que ces législations comportent plusieurs points positifs. Il souligne qu’il est primordial que tous les travailleurs savent ce que ces lois contiennent et ce qu’ils obtiendront. « Ces lois viennent rééquilibrer et reconnaitre les droits des travailleurs, surtout les éléments que nous avons perdus en 2008 et 2013 », explique le négociateur. Il rappelle comment sous l’ancienne loi il était si facile de licencier un travailleur, qui subit ainsi une double sanction : d’abord la perte de son emploi, puis la perte de ses années de service. Mais aujourd’hui, le Portable Gratuity Fund viendra corriger cela.
« De plus, la nouvelle loi rendra possible la réintégration d’un employé injustement licencié, la loi vient ainsi rétablir les droits enlevés dans le passé », ajoute-t-il. Il révèle que l’ancienne loi avait provoqué beaucoup de licenciements et la cour industrielle aujourd’hui regorge de plaintes. Mais Ivor Tan Yan déplore que Business Mauritius n’accepte pas les propositions de cette loi. « Les syndicats ont travaillé en amont, nous avons soumis nos mémorandums dès le départ, la loi a été travaillée et présentée au Parlement, mais voilà qu’à la dernière minute, Business Mauritius veut envoyer son mémorandum. C’est inacceptable », dit Ivor Tan Yan.
Parmi les points positifs des nouvelles lois, il cite le fait qu’il ne sera plus possible de contourner la loi pour rendre temporaire un travail permanent, éliminant ainsi la précarité.
Points négatifs
Il salue le Portable Gratuity Fund, les Special Leaves et l’avènement du Protective Order. Mais pense-t-il que les lois vont être implémentées avec succès ? À cette question, le négociateur observe que la loi donne plus de pouvoirs aux inspecteurs du bureau du travail, mais il pense que ces derniers doivent avoir plus de ressources humaines et la logistique nécessaire pour mieux exercer. Il cite les chiffres officiels pour expliquer qu’il faut plus d’inspecteurs pour couvrir toutes les entreprises.
Et les points négatifs ? Ivor Tan Yan regrette des éléments discriminatoires dans la loi, par exemple dans le cas où certaines clauses ne s’appliquent pas aux travailleurs touchant plus de Rs 47,000 par mois. « Oui, je comprends que la nature du travail peut amener une différence mais la ligne de démarcation doit être basée sur les responsabilités du travailleur et non pas sur le niveau de salaire » soutient-il. Il fait ressortir que ces travailleurs ne bénéficieront pas de meal allowance, ne sont pas éligibles aux special leaves, et ne sont pas couverts par la notion ‘Equal work, equal pay’. Et les différentes clauses de ces lois seront proclamées à des différentes dates, sans que la loi précise quelles sections. Pour conclure, il demande à Business Mauritius si l’organisme est d’accord avec un climat de terreur qui règne au sein de certaines entreprises, où des employeurs se servent des comités disciplinaires pour renvoyer des travailleurs, sans respecter leurs temps de service et sans aucune charge.
Reaz Chuttoo : « Le gouvernement doit corriger les erreurs du passé »
Reaz Chuttoo, un des dirigeants de la Confédération des Travailleurs du secteur privé (CTSP), précise que ce ne sont pas seulement des nouvelles lois, mais plutôt ‘un verdict’ rendu en faveur des travailleurs qui souffrent depuis 10 ans avec la loi de 2008. « Tous les bons éléments de ces lois auraient dû être en vigueur depuis longtemps », dit-il. Il accueille favorablement la décision de réviser le salaire dans le privé chaque cinq ans, comme c’est le cas dans le service public. Il apprécie la notion d'‘equal pay for equal work’.
Concernant les dispositions de régir les emplois temporaires et la 'portable gratuity', il dit que c’est la loi de la justice naturelle, car une personne ne peut être punie deux fois, donc avec un licenciement, ou un changement d’employeur, l’employé ne perd pas ses années de service. « Et le fait de frapper d’un taux d’intérêt de 12 % par an tout dédommagement obtenu tardivement en cour fera réfléchir les patrons qui ne se serviront plus d’astuces pour prolonger des cas de litige au tribunal. » Parmi les points négatifs, il déplore que la ‘meal allowance’ demeure toujours à Rs 70 après 10 ans.
Ensuite, il n’est pas d’accord qu’un employé travaille cinq nuits consécutives. Mais, pense-t-il que ces lois vont amener un ‘feel good factor’ parmi les travailleurs ? Reaz Chuttoo dit qu’il doute que la loi passera, car le patronat ne semble pas être d’accord et fait pression. « Au moins, il y a un gouvernement qui a compris les souffrances des travailleurs et a eu le courage de venir avec une telle loi, mais si elle ne passe pas, le gouvernement ratera une chance unique de corriger les erreurs du passé. »
Radhakrishna Sadien : « J’accueille le National Tripartite Council »
Le président de la Government Services Employees Association, Radhakrishna Sadien, félicite le gouvernement d'avoir enfin pris l’initiative de venir avec ces amendements avant la fin de son mandat. « Le National Tripartite Council était ad-hoc, maintenant c’est la loi qui l’instaure », dit le syndicaliste. Mais il pense que la reconnaissance des syndicats ayant 20 % de membres verra la création de nouveaux syndicats et cela peut affaiblir les syndicats existants et ce n’est pas dans l’intérêt des travailleurs. Il souligne aussi qu’en vertu du PRB, personne ne peut contester une recommandation, le rapport étant toujours final. Concernant la 'portable gratuity', nous sommes encore au stade des discussions, il faut voir les implications.
Portable Gratuity fund
Dans le passé, si quelqu’un avait changé plusieurs fois d’emploi, c’était le dernier employeur qui devait lui verser la ‘lump sum’. Par conséquent, les autres temps de service précédents n’étaient pas tenus en compte. D’ailleurs, des études ont démontré que seulement 10 % des employés travaillent avec un seul employeur et 90 % de ceux qui arrivent à la retraite obtiennent seulement le temps de service à leur dernier emploi. Par conséquent, le Portable Retirement Gratuity Fund permettra au travailleur de toucher son temps de service au complet. Il y aura un comité technique qui siégera dès que la loi sera votée pour définir les modalités de ce fonds, normalement ce sera l’employeur qui y contribuera.
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