Kugan Parappen, sur le financement des partis politiques : «C'est un assujettissement des partis politiques au secteur privé» | Défi Économie Aller au contenu principal

Kugan Parappen, sur le financement des partis politiques : «C'est un assujettissement des partis politiques au secteur privé»

Kugan Parappen

Le porte-parole économique de Rezistans ek Alternativ, Kugan Parapen, estime que le Political Financing Bill, destiné au financement des partis politiques, était voué à l’échec en raison de l’absence de consultations et l’empressement pour passer cette loi. Tout en étant favorable à une législation régissant le financement politique, il critique le processus contenu dans le Political Financing Bill  qui consistait à assujettir les partis politiques au secteur privé.

« Il faut comprendre que le secteur privé ne finance pas les élections pour enraciner les valeurs démocratiques, mais bel et bien pour corrompre la démocratie. »

Le texte de loi concernant le financement des partis politiques, le Political Financing Bill,  n’a pas été voté. Que faut-il en penser ?
Cela ne surprend personne, on pourrait même dire que ce texte était voué à l’échec avant même sa présentation. Il faut aussi rappeler que les grandes réformes démocratiques telles que la réforme électorale et celle relative au financement des partis politiques figuraient dans le manifeste de la défunte Alliance Lepep. En même temps, le MSM est connu comme étant un des partisans qui est le plus réfractaire au changement des règles démocratiques qui entourent l’organisation des scrutins. Donc, comment réconcilier une promesse et un texte de loi auquel on ne croit pas ? Tout simplement en essayant de faire porter le chapeau de l’échec par le Parlement. L’absence de consultations et l’empressement pour passer la loi démontrent clairement le manque de volonté du gouvernement.

Pourtant, c’était une bonne idée…
Après 50 ans d’indépendance, une loi régissant le financement politique est plus que nécessaire. Il n’y a pas de formule parfaite mais, dans le cas présent,  ce qui a été mis de l’avant est simplement inacceptable. Déjà, en enlevant le financement public des partis de l’opposition de la loi et en voulant permettre au secteur privé de financer les partis politiques sans avoir à divulguer l’identité  de ceux qui recevraient ces dons, ce gouvernement a essayé de mettre en place un processus dangereux, c’est-à-dire l’assujettissement des partis politiques au secteur privé. Il faut comprendre que le secteur privé ne finance pas les élections pour enraciner les valeurs démocratiques, mais bel et bien pour corrompre la démocratie. En privilégiant l’anonymat par rapport aux dons politiques, on met sur pied  un système sociétal et politique de copinage.

D’ailleurs, Rezistans ek Alternativ a pendant longtemps décrié le capitalisme de copinage qui existe à Maurice depuis l’indépendance. Quand on doit son salut politique aux largesses des compagnies œuvrant pour la maximalisation des profits, il n’est pas difficile de s’imaginer à qui on va renvoyer l’ascenseur. Or, si le financement privé était plus transparent, c’est-à-dire, si on savait quel montant a été remis à quel parti politique, il aurait été possible par la suite à la population et surtout aux cours de justice de déterminer s’il y a eu favoritisme ou pas. Dans sa forme actuelle, ce texte de loi est une claque magistrale aux principes de la  démocratie auxquels une société comme la nôtre devrait mettre en place.

Quelle aurait été la formule idéale ?
Idéalement, un parti politique devrait pouvoir se financer à partir de sa base, auprès de ses adhérents et sympathisants. Mais, le problème à Maurice demeure le coût de la pratique de la politique. Du point de vue démocratique et de diversité politique, ce serait à l’État de s’assurer qu’un maximum de tendances politiques puisse s’exprimer et participer au jeu démocratique. Une scène politique qui est vivante est toujours meilleure qu’une bipolarisation politique et encore mieux qu’une dictature quelconque.

Si on part de l’affirmation que le système de représentation politique est la décision la plus importante que puisse prendre un citoyen, je ne vois aucune raison pourquoi l’État ne devrait pas faire son maximum pour que cette décision soit prise dans les meilleures conditions possibles. Si l’État peut financer une association socioculturelle et religieuse qui, rappelons-le, demeure dans le domaine du privé, et s’il peut aussi consentir des concessions fiscales de plusieurs milliards de roupies à des entreprises privées, je ne vois pas dans quelle mesure le financement des partis politiques par l’État devrait faire sourciller. C’est l’inverse plutôt qui devrait nous faire poser des questions.

Sur le plan de l’économie, les secteurs du textile, du sucre et du tourisme demeurent de vrais sujets d’inquiétude. Comment en est-on arrivé là ?
On parle là des trois piliers économiques historiques dont les plus beaux jours sont derrière eux. Il est indéniable que ces trois industries, pas pour les mêmes raisons, connaissent des périodes difficiles. Récemment, le porte-parole de l’industrie hôtelière a dit qu’il faudrait déclarer l’état d’urgence par rapport à ce secteur. Il faudrait plutôt déclarer l’état d’urgence parc rapport  au manque de vision économique et sociale. Aujourd’hui, notre économie importe à hauteur de 60 % de notre PIB alors qu’en même temps, notre roupie n’a fait que se déprécier durant les 40 dernières années. En 1978, une livre sterling valait autour de dix roupies, en 2019, elle vaut autour de 44 roupies. La supposée résilience de l’économie mauricienne a été masquée par la dévaluation volontaire de notre monnaie. Il faut que les Mauriciens comprennent que si la vie est si chère à Maurice, c’est le résultat d’une politique monétaire visant à maximiser la profitabilité des exportateurs sans prendre en considération l’impact sur la qualité de la vie des Mauriciens. Cet état de choses démontre bien que la philosophie mercantiliste propre aux forces impérialistes du temps de la colonisation n’a guère évolué à Maurice.

Que pensez-vous de la situation des PME mauriciennes, qui étaient destinées à devenir un pilier additionnel de notre base économique ?
Leur marge de manœuvre est déjà limitée, elles font déjà face à un accès limité au financement. Alors qu’elles devraient représenter la rupture dans le domaine de l’entreprise, force est de constater que la rupture économique est réservée à ceux qui détiennent déjà la mainmise économique à travers une relation incestueuse qui existe entre les grosses compagnies privées et les décideurs politiques. La monopolisation de l’économie par les grands conglomérats mauriciens est devenue une réalité. Ironiquement, même l’incubateur destiné aux PME est la propriété d’un des plus grands groupes historiques de l’île.

Pour sortir de l’étroitesse du marché mauricien, l’État mauricien et certains entrepreneurs locaux estiment qu’il faut songer à s’implanter en Afrique. Peut-on y arriver ?
Il y a de plus en plus de compagnies mauriciennes qui ont une  forte présence sur le continent africain. L’Afrique est porteuse de beaucoup d’espoirs mais demeure encore une destination exotique. Cependant, il ne faudra pas que Maurice refait ce que l’Europe colonisatrice a fait avec l’Afrique. Il faudrait trouver un terrain d’entente qui soit bénéfique aux deux parties, or ce que nous voyons avec l’offshore est loin  de cette volonté. À travers l’offshore, ce sont plusieurs compagnies qui dépouillent l’Afrique de sa richesse naturelle, sans payer en retour les taxes qui devraient être engrangées par la société africaine. Au final, une taxe non-payée est bénéfique à l’investisseur seulement. Pour l’Afrique, cette taxe représente des milliers d’enfants qui auraient pu accéder à l’éducation, des centaines de villages qui auraient pu être connectés au réseau d’eau potable ou encore plusieurs points de croissance économique. Et dire que ces compagnies offshore et leurs partenaires financiers font de grandes  campagnes de communication autour de leurs activités CSR. Dans quel monde vit-on ?