Analyse : l’envol des milliards

Dans le cadre des débats budgétaires, on a beaucoup parlé de la dette publique, mais assez peu du déficit budgétaire. Or on ne peut pas réduire la dette sans baisser le déficit public. Celui-ci continuera son envol pour frôler les Rs 17 milliards en 2019-2020, mais se maintiendra à 3,2% du produit intérieur brut (PIB). Comme les dépenses et les recettes fiscales demeurent en hausse, le budget de 2019-2020 reste dans la continuité des mœurs des finances publiques depuis l’indépendance du pays : déficit et dette.
Dans le présent baromètre, les analystes dénoncent l’opacité des arcanes des finances publiques. Mais même si l’on se fie aux chiffres officiels, la situation augure mal de la soutenabilité de la croissance économique. Si notre économie n’est pas en récession, pourquoi continuer à accroître les dépenses publiques (une hausse cumulative de 50% sur cinq ans) pour stimuler la demande agrégée ? Pourquoi garder le déficit budgétaire au-dessus de 3,0% du PIB jusqu’à 2020-2021 ? Les épigones d’Oliver Blanchard doivent connaître cet enseignement de Keynes qu’une politique de « deficit spending » est seulement un remède contre la récession, et qu’on revient à l’équilibre budgétaire au retour de la croissance.
Dans aucun des cinq budgets qu’il a présentés, le gouvernement actuel n’a respecté les deux règles d’or des finances publiques, à savoir limiter le déficit budgétaire à 3,0% du PIB et la dette du secteur public à 60% du PIB. Celle-ci s’est, au contraire, accrue pour atteindre 65% au 30 juin 2019. Quant à l’objectif d’avoir pour la nouvelle année fiscale le même déficit budgétaire que 2018-2019, soit 3,2% du PIB, il paraît difficilement réalisable.
D’abord, le ministère des finances n’a pas tenu compte des multiples promesses électorales que le Premier ministre va égrener dans les mois à venir. Il va sans dire qu’après les élections générales, les dépenses budgétaires supplémentaires grossiront pour remercier les électeurs, comme on l’a fait au début de 2015. Déjà, le leader du MSM a commencé à faire des promesses pour être réélu – un aveu que son dernier budget n’a pas eu l’effet escompté sur la population !
Ensuite, l’estimation du déficit budgétaire pour 2019-2020 est fondée sur une croissance réelle de 4,0% du PIB au prix de marché (qui inclut les impôts). Un tel taux est très optimiste dans la conjoncture actuelle avec le ralentissement dans les secteurs traditionnels. D’ailleurs, comment se pourrait-il qu’une croissance de 4,0% rapporte Rs 5,8 milliards d’impôts additionnels, bien moins que les Rs 7,4 milliards de plus générés par la croissance de 3,9% en 2018-2019 ? Si ce n’est pas la faute à la croissance, alors c’est une dégradation de la gestion des finances publiques. Mais, vu qu’il est plus difficile de triturer le montant des recettes fiscales, le ministère des finances joue-t-il, comme Statistics Mauritius, avec le taux de croissance, devenu un indice politique de propagande ?
Une autre raison qui pousse à croire que la croissance économique ne sera pas meilleure en 2019-2020, c’est que les revenus de la taxe à la valeur ajoutée augmenteront moins qu’en 2018-2019. Pourtant, prévoit le ministère des finances, le taux d’inflation progressera d’un point, passant de 1,0% en 2018-2019 à 2,0% en 2019-2020 : toute hausse des prix fait grimper les recettes de la TVA. Ce qui laisse penser à un fléchissement de la croissance entretenue par la consommation, sur laquelle repose toute la stratégie économique du gouvernement depuis cinq ans.
Dans cette optique, sa performance budgétaire est liée à la perte du pouvoir d’achat et aux efforts des contribuables. Par rapport au PIB, les recettes fiscales sont passées de 18,3% en 2008-2009 à 19,9% en 2018-2019, et elles grimperont encore à 20,2% en 2020-2021. Malgré cette hausse, il a fallu emprunter pour couvrir les dépenses publiques, lesquelles se monteront à 26,3% du PIB en 2019-2020, contre 23,9% en 2014.
En matière fiscale, il n’y a pas de miracle : on ne peut pas diminuer les dépenses sans réduire la taille du secteur public. L’idéal serait de limiter le budget de l’Etat à ses seules compétences régaliennes (l’ordre public et les services généraux). Ces postes budgétaires représentent un quart du budget, soit Rs 35 milliards, qu’il convient de comparer avec les Rs 38 milliards de la protection sociale.
Voyant que le gouvernement veut puiser dans les réserves de la banque centrale pour alléger sa dette, les créanciers de l’Etat mauricien pourraient commencer à douter de sa solvabilité et exiger ainsi des intérêts plus élevés. Voilà qui va alourdir la charge de la dette publique, qui est devenue l’un des plus lourds postes budgétaires, en l’occurrence 10% du budget, avec un montant (Rs 13,8 milliards pour 2019-2020) similaire à celui de la Santé, mais derrière l’Education (Rs 17,7 milliards). Comme le coût de lever des emprunts sur le marché monétaire et de les gérer n’est pas léger, le Trésor public joue avec les échéances, qu’il veut les plus lointaines possibles (10 ans, voire 20 ans) pour retarder le remboursement du principal de la dette.
L’émission des obligations publiques à 10 ans le 4 juin dernier a vu leur rendement chuter de 107 points de base à 4,35%. Un recul sensible des taux longs est considéré comme un signe avant-coureur d’une récession. Une baisse des taux courts, que le comité de politique monétaire pourrait envisager le 9 août prochain, ne servirait à rien, si ce n’est pour minimiser les coûts de stérilisation que subira la Banque de Maurice dans sa stratégie d’acheter des dollars pour faire déprécier la roupie et renflouer ainsi son Special Reserve Fund. Comme pour organiser le vol des milliards…
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