Affaires d’État : performance en berne

La performance de nos services gouvernementaux a baissé en 2016 et 2017 selon les derniers chiffres de la Banque mondiale, ce après deux ans de gains consécutifs. Nous sommes bien ancrés en territoire positif alors que la moyenne africaine est inférieure à zéro. Entre 1996 et 2017, cette efficacité a bien progressé (7 % en moyenne). Comparativement, la Chine a connu une amélioration annuelle de…532,45 %.
Les dépenses récurrentes du gouvernement sont estimées à Rs 121,6 milliards pour l’année financière 2019/2020. De ce total, une somme de Rs 32,7 milliards versées sous forme de salaires, allocations et bonus aux fonctionnaires. Ces chiffres nous ramènent à cette moyenne : sur chaque roupie que le gouvernement déboursera pour couvrir ses dépenses habituelles, 27 sous serviront à payer les salaires. Le montant inclut les Rs 1 000 que touchera chaque fonctionnaire à partir de janvier 2020, en attendant la publication et la mise à exécution du rapport du Pay Research Bureau.
Une telle proportion serait tout à normale quand on sait que le gouvernement – si on le considère comme un groupe d’entreprises – serait le principal employeur. En avril 2019, la fonction publique a compté 32 313 hommes et 22 617 femmes comme faisant partie de son personnel. Jusqu’ici, tout va bien. Le ministère de tutelle — comme l’a annoncé en primeur Le Défi Quotidien du 11 juillet – a émis une circulaire demandant le recrutement de 5 300 fonctionnaires dans les plus brefs délais. Il y aura 3 771 promotions dans le service. Jusqu’ici, c’est acceptable.
Cette semaine-ci, grande a été notre surprise – tant des fonctionnaires et des employés du secteur privé – en apprenant que la commission anti-corruption enquête sur les heures supplémentaires. Non contents de percevoir leurs salaires, certains se seraient permis de falsifier les relevés de présence. Il est question de graisser les pattes…c'est-à-dire un fonctionnaire donnant un pot-de-vin à autre fonctionnaire. En 2017/2018, Rs 390 millions ont été déboursées sous cet item, dont Rs 185 millions au ministère de la Santé, un département disposant déjà d’une enveloppe de Rs 13,1 milliards, dont Rs 11,9 milliards pour les dépenses récurrentes. D’ailleurs, ce même ministère a été dans l’actualité pour des recrutements. Le ministre de tutelle s’en est défendu en affirmant que l’exercice s’est fait en toute transparence.
Dans un élan de réforme, on parle de la modernisation de la Fonction publique afin d’éliminer la lourdeur administrative et inciter les employés à donner le meilleur d’eux-mêmes. Cependant, les chiffres de la Banque mondiale montrent que l’efficacité gouvernementale – par ricochet ses employés – est en chute. L’indice est passé à 0,9 en 2017 selon les derniers chiffres disponibles.
C’est la deuxième année de suite que cet indicateur est en baisse après avoir atteint un pic en 2015. L’indice est en territoire positive, montant que nous ne sommes pas aussi mal lotis et qu’on ne peut accuser tous les 55 000 fonctionnaires.
Ceci étant dit, l’efficacité gouvernementale et des moyens pour améliorer la productivité n’est pas un discours nouveau. Elle remonte à la fin des années 70/début années 80 quand les fonctionnaires ont demandé des réajustements après la dévaluation de la roupie. Des comités tripartites ont été mis sur pied. Un programme est même lancé en janvier 1988 au sein du ministère des Finances. On en parle toujours.
Dr Takesh Luckho, économiste : « L’évaluation de la performance est essentielle »
Ayant soutenu sa thèse de doctorat en commerce international et le développement économique, Dr Takesh Luckho estime que tout est dans l’attitude. Dans le secteur privé, il y a une obligation pour atteindre les objectifs, œuvrer pour la satisfaction du client, contribuer à générer revenus et profits. Dans la fonction publique, cette obligation n’y est pas parce que la progression sera naturelle.
« Ne blâmons pas tous les fonctionnaires. Si tout le monde était logé à la même enseigne, le pays serait paralysé. Relativisons. D’abord, quand quelqu’un intègre la fonction publique, il a déjà fait ses calculs. Il sait qu’avec ce job, il aura droit à des privilèges et des facilités jusqu’à sa retraite. Donc, quand on a cette attitude, on oublie notre rôle, qui est d’être au service de notre client, le citoyen mauricien, le contribuable qui assure les salaires. Or, dans le secteur privé, dès le début, on sait que la performance du salarié sera évaluée avant qu’on ne lui accorde une hausse salariale hors compensation.
La personne dans le secteur privé sait que sa promotion ne sera pas naturelle comme dans la fonction publique. Nous avons tous un proche parent qui dit redouter cet exercice. Nous avons tous un proche qui dit atteindre un nouveau palier salarial tel que défini par le Pay Research Bureau. L’évaluation de la performance est essentielle afin de motiver l’employé à donner le meilleur de lui-même. Mais il ne faut pas se voiler la face. La performance dans le secteur public, surtout parmi les jeunes recrues, reflète tout aussi le niveau de l’éducation. On ne peut s’attendre à faire des miracles avec des personnes ayant eu trois Credits au School Certificate et ayant bâti un parcours académique sur ces résultats. »
Indicateur de l’efficacité gouvernementale
Kumaraswamy Venkatasawmy, ancien fonctionnaire et syndicaliste : « Le secteur public demande à être motivé »
Enseignant, syndicaliste, météorologue, chargé du programme d’amélioration de productivité au ministère des Finances, Kumara Venkatasamy, aujourd’hui âgé de 81 ans, a un regard très critique de la fonction publique. Il déplore un laisser-aller et une attitude où se faire de l’argent sans trop d’effort semble devenir la norme : « La priorité du prochain gouvernement sera de remotiver les fonctionnaires. Sans cet exercice de recadrage, la fonction publique continuera à naviguer sans gouvernail. Comment pourrait-on assurer le bon roulement du pays si les gens devant effectuer cette gestion ne sont pas enclins à faire leur travail ?
Par ricochet, comment est-ce que le secteur privé pourra opérer sans l’apport des fonctionnaires ? Au fil des années, les gouvernements successifs ont créé des institutions qui échappent au contrôle de l’administration centrale. Il y a trop de personnes ayant des postes de responsabilité qui ne font que se renvoyer la balle. On n’avance plus de la sorte. Nous sommes arrivés à un stade où le fonctionnaire modèle se mue davantage en un employé toujours à la recherche des avantages ici et là, d’être dans les bons papiers des politiques, de tout accepter sans avoir le courage de dire aux ministres que leurs idées ne sont pas forcément les bonnes. Je vous donne un exemple.
J’ai participé à la préparation de huit budgets en tant qu’employé au ministère des Finances. Aucun cadre n’a été payé pour des heures supplémentaires. Pourquoi ? Parce que c’est un travail d’équipe avec un but précis : la bonne gestion des affaires de l’État et des deniers publics. »
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