La belle parade statistique

Le débat budgétaire a été tellement dominé par ce qu’il convient d’appeler le « hold-up » de la Banque de Maurice que très peu a été dit sur les indicateurs économiques. Ils sont tout aussi révélateurs de l’état dégradant de notre économie, comme le font ressortir les dernières actualisations de la comptabilité nationale. Cependant, en cette année électorale, les indices ont une vocation politique. Il importe donc à Statistics Mauritius de ne pas suivre la voie de notre banque centrale par la perte de son indépendance, durement acquise. Car, dans un pays où les statistiques sont produites par un quasi-monopole public, lequel ne vit que du budget qui lui est alloué par l’Etat, il est facile de dire que les statistiques mentent.
C’est sous un tintamarre médiatique que le gouvernement présente la baisse du taux de chômage comme une grande victoire statistique, qui autorise ses thuriféraires, daltoniens assurément, à affirmer que les clignotants économiques sont au vert. Or, si le nombre de chômeurs a reculé de 1 700 en 2018, ce n’est pas parce qu’on a créé plus d’emplois, mais en raison d’une baisse de la population active (par 3 100 personnes). Ainsi, il y a eu une perte nette de 1 400 emplois parmi les Mauriciens.
On n’a rien à dire de la méthodologie de Statistics Mauritius sur le calcul du taux de chômage. En revanche, on reste dubitatif devant le taux de croissance économique que le gouvernement utilise comme une belle parade statistique pour maquiller sa piètre performance. L’institut des statistiques prévoit que la croissance du PIB au prix de base serait de 3,6% en 2019, comme les trois années précédentes, et que la croissance du PIB au prix de marché serait de 3,9%, légèrement supérieure à 2018. Or ces prévisions assez optimistes ne cadrent pas avec celles, plutôt pessimistes, des productions sectorielles et des agrégats de la dépense.
Vu du côté de l’offre, le PIB (produit intérieur brut) est la somme des valeurs ajoutées de toutes les industries. Il est prévu que presque tous les grands secteurs connaîtraient en 2019 un taux de croissance moindre qu’en 2018 : la manufacture locale passerait de 4,7% à 2,0%, l’industrie alimentaire de 3,4% à 2,0%, la construction de 9,5% à 8,5%, la distribution de 3,5% à 3,4%, le transport de 3,5% à 3,2%, le tourisme de 4,3% à 2,7%, les TIC de 5,3% à 4,8%, les services financiers de 5,4% à 5,2%, les activités professionnelles de 5,1% à 4,9%, l’éducation de 2,4% à 1,1%, et la santé de 4,1% à 3,8%. Ajoutée à cela une nouvelle contraction des entreprises orientées vers l’exportation, et on comprend mal comment la croissance de 2019 au niveau national pourrait être meilleure que l’année dernière.
Ce scepticisme est renforcé dans l’optique de la demande : la hausse du PIB est la résultante de la consommation (des ménages et du gouvernement), de l’investissement (public et privé) et de l’exportation (nette de l’importation). Tous ces trois moteurs de croissance seraient cette année moins puissants qu’en 2018. La consommation finale progresserait de 3,1% en 2019 contre 3,5% l’année dernière, tandis que la formation brute de capital fixe augmenterait de 6,6% contre 10,9%. Les exportations de biens et services ralentiraient aussi (croissance de 1,2% contre 2,3% en 2018) alors que les importations seraient en hausse de 3,3% en termes réels. Par conséquent, le pays enregistrerait une importation nette de 14,3% du PIB, plus qu’en 2018 (13,5%) – une détérioration qui ne peut que peser négativement sur la croissance nationale.
On devient encore plus sceptique sur l’estimation officielle de celle-ci quand on regarde son évolution sur une base trimestrielle. Selon Statistics Mauritius, si l’on prend les données corrigées des variations saisonnières, le taux de croissance annuel du PIB au prix de base pour le premier trimestre était de 0,9% en 2015, de 0,7% en 2016, de 0,5% en 2017, de 0,8% en 2018 et de 0,1% en 2019. Considérant la quasi-stagnation de l’économie au premier trimestre de 2019, il serait très difficile de réaliser une croissance de 3,6% cette année.
Encore que le PIB soit surévalué. Si la production privée est mesurée à peu près correctement, au prix de marché, par la valeur que lui donne l’acheteur, en revanche nul ne peut apprécier réellement la valeur des biens et services produits par le secteur public. La part (inappréciable) de la production publique dans le PIB est de 12%. Calculée au prix de base, la valeur des produits publics est estimée d’après leur coût : plus l’Etat dépense, plus élevé est le PIB ! Ainsi, l’embauche de policiers et de médecins gonfle le PIB, puisque la valeur de leur production se mesure à leur traitement. Toute hausse des salaires des fonctionnaires et tout surcoût des chantiers publics accroissent le PIB !
Voilà de quoi décrédibiliser le PIB comme un indice de la richesse réelle du pays. Le Metro Express est l’exemple même d’un artifice qui fait croire que le pays devient riche. Les 17 milliards de roupies que cela coûte ont de quoi impressionner le chaland, mais ils ne sont pas porteurs d’une croissance durable. Entre « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas », pour reprendre une distinction de Frédéric Bastiat, la politique de la dépense publique s’éloigne des réalités des entreprises et des ménages, tant elle est myope sur l’évolution des structures économiques en longue période.
On veut bien admettre que les données macroéconomiques ne sont pas d’une rigoureuse précision. Les chiffres doivent toujours être pris avec précaution. Libres aux politiciens de leur faire dire ce qu’ils veulent. Mais pour une institution qui doit demeurer crédible, elle ne doit pas prêter le flan à la suspicion. Statistics Mauritius pourra se rattraper à la prochaine publication de la comptabilité nationale le 30 septembre, avant les élections.
Votre avis nous intéresse