Bhavik Desai : «La priorité est de s’assurer que le Covid-19 n’atteint pas nos côtes» | Défi Économie Aller au contenu principal

Bhavik Desai : «La priorité est de s’assurer que le Covid-19 n’atteint pas nos côtes»

Bhavik Desai
Bhavik Desai, head of Research chez AXYS Stockbroking

Bhavik Desai, Head of Research chez AXYS Stockbroking, était l’un des premiers à avoir annoncé une baisse de la croissance avant même que le nouveau coronavirus (Covid-19) ne se propage hors de la Chine. Il juge que le maintien de la confiance des entreprises est essentiel dans un contexte où l’activité économique risque de s’effondrer dans les semaines à venir.

« La Chine, qui reprend vie, est un signe positif. Il indique que le confinement peut fonctionner et que les perturbations dureront quelques semaines. »

Le coronavirus se propage sur la planète et crée la panique chez les opérateurs touristiques. Quel en sera l’impact sur les recettes touristiques et la croissance dans l’industrie ?
Notre note d'évaluation préliminaire date du 11 février avant la propagation de la maladie en Corée-du Sud, en Italie et en Iran. C'était bien avant l'hystérie.  En nous basant sur l'épidémie du SRAS en 2003, nous avons essayé de mesurer l'impact de la réduction du nombre de touristes chinois sur l'industrie touristique et l'économie en général. Nous prévoyons donc une baisse se situant entre 12 000 et 23 000 visiteurs de la Chine en 2020. Ce qui équivaut entre 0,8 % et 1,6 % du total des arrivées touristiques en 2019 qui s'établissait à 1,38 million. Ce qui, par conséquent, allait entraîner une réduction des recettes de l'ordre de Rs 660 millions à Rs 1,2 milliard, soit de 1 % et 2 %. Les recettes touristiques s'élevaient à Rs 63 milliards en 2019. Sur cette base, nous avions estimé que la croissance du pays allait régresser de 0,1 %. Mais, depuis, la situation a beaucoup évolué, rendant les risques de baisse sensiblement plus élevés.

Justement, vous craignez une baisse de 0,1 point sur la croissance dans « le pire des scénarios ». A-t-on déjà atteint le pire des situations et quelles sont vos prévisions pour la croissance en 2020 ?
Dans notre pire des scénarios, nous avons estimé une perte de 6 mois d’arrivées de la Chine, soit une baisse de 23 000 visiteurs. Fait intéressant : cette baisse est similaire à celle enregistrée sur les arrivées en provenance de la Chine durant 2019. En substance, l’industrie avait déjà vécu une expérience similaire en 2019. Maintenant que la pandémie s’est propagée, nous devons ajouter une perte de six mois d’arrivées de l’Italie (21 000 visiteurs) et une perte complète de touristes coréens (7 000 visiteurs). Ce qui représente un total de 50 000 visiteurs, soit 3 % des arrivées totales. Maintenant que Maurice a fermé ses frontières à l’Europe et à La Réunion, l’impact négatif est de 15 % à 25 % des recettes annuelles. Cette situation est chagrinante car en janvier et aussi en février, si l’on exclut les Chinois, le tourisme a montré des signes prometteurs de rebond après une année 2019 plus faible que prévu pour l’industrie.

Maurice a aussi imposé des restrictions sur les importations des produits d’origine animale, incluant les poissons, de plusieurs pays, la Chine, l’Italie, l’Iran, la Corée-du-Sud et maintenant de La Réunion, la Suisse et des pays de l’Union européenne. Quelles peuvent être les conséquences sur nos importations et, par ricochet, sur l’inflation ?
Nous importons essentiellement des automobiles, des pièces de rechange, des produits électroniques mais aussi du poisson de la Corée. Hyundai a été l’un des premiers fabricants à arrêter sa production en raison de perturbations de la chaîne d’approvisionnement après que Wuhan a été placé en quarantaine. Pour ce qui est de l’Italie, les principales importations concernent  les aliments (tomates, céréales et pâtes), mais aussi des biens de consommation finis et les articles ménagers. Alors que la Chine constitue 17 % de nos importations totales, celles de l’Italie et de la Corée représentent plus de 3 % chacun. Par ailleurs, durant le premier trimestre de l’année, nous avons importé seulement 22 % de nos importations annuelles.

Etant donné que les restrictions concernent principalement des produits alimentaires, nous avons pu constater une augmentation des prix de certains aliments. Notre estimation initiale de l’inflation – qui a été réalisée avant la chute des prix du pétrole – est de 2,5 % pour 2020. Toutefois, il faut voir jusqu’à quand les prix du pétrole resteront aussi bas. Dans son dernier communiqué sur la politique monétaire, la Banque de Maurice prévoit une inflation de 1,5 % d’ici à la fin de l’année.  

« Maintenant que Maurice a fermé ses frontières à l’Europe et à La Réunion, l’impact négatif est de 15 % à 25 %. Cette situation est chagrinante, car en janvier et aussi en février si l’on exclut les Chinois, le tourisme a montré des signes prometteurs de rebond. »

À la Bourse de Maurice, les titres des compagnies évoluant dans l’hôtellerie, l’aviation ou encore les loisirs enregistrent des baisses ces derniers temps en raison du coronavirus. La panique a-t-elle gagné la Bourse ? Ce cycle n'est-il que périodique ?
La panique a gagné le marché boursier qui a reculé de 3 % la semaine d’avant. Le lundi 9 mars aura été la pire journée de la Bourse de Maurice. Le marché domestique a déjà enregistré des moments difficiles en 2019 face aux défis rencontrés par l’industrie sucrière et par la réduction de 1,6 % des arrivées touristiques – principalement de l’Asie – par avion. Le fait que le marché ait connu une année 2019 morose et que plusieurs sociétés se négociaient déjà à leur plus bas niveau depuis des années alors que le marché étranger a bien résisté en 2019, cette dernière vague de ventes semble quelque peu exagérée. Les groupes hôteliers ont perdu 20 % à 30 % de leur valeur depuis le début de l’année et se négocient actuellement à leur niveau le plus bas depuis plus de six ans. Les compagnies sucrières et les grands conglomérats sont également à leur niveau le plus bas depuis des années. Comme l’a dit Warren Buffet : « Soyons craintifs quand les autres sont gourmands et gourmands quand les autres sont craintifs ». C’est une opportunité intéressante de diversifier et possiblement un moment opportun pour  commencer à regarder le marché et à en trouver des opportunités d’investissements à son niveau actuel.

Que faut-il faire pour armer notre économie contre les effets pernicieux du coronavirus ?
Le comité de politique monétaire a déjà pris les devants en baissant le taux Repo par 50 points de base à 2,85 %. C’est un signal fort et cette décision devrait atténuer les problèmes de liquidités. Que les entreprises puissent avoir des liquidités disponibles dans le court terme est essentiel pour les prochains mois qui risquent d’être difficiles. Le plan de relance économique dévoilé en fin de la semaine dernière par la Banque centrale et le ministère des Finances abonde aussi dans ce sens.

Par ailleurs, si les cours pétroliers restent en-dessous des 50 dollars le baril, une réduction des prix de l’essence et du diesel serait bénéfique. Désormais, la priorité centrale du gouvernement est de s’assurer que le Covid-19 n’atteint pas nos côtes. Et s’il fait surface, la réponse mauricienne pour lutter contre la propagation et la limiter doit être adéquate. Il est certainement utile qu’en tant que nation insulaire, nous ayons déjà mis en place un système de bilan de santé pour garantir que les maladies à transmission vectorielle importées (paludisme ou dengue) soient rapidement bloquées. C’est une mesure importante et nécessaire – si ce n’est la plus importante – pour garantir le maintien de la confiance des entreprises dans un contexte où l’activité économique risque de s’effondrer dans les semaines à venir, particulièrement dans l’industrie hôtelière.

Tout n’est pas si noir. Au niveau local, le gouvernement a mis en place un plan de relance. Sur la scène internationale, la Chine reprend vie et a enlevé ses restrictions. Vos commentaires...
Le plan de relance n’est qu’un début. Les choses progressent tellement rapidement en ce moment que les réalités d’hier ne sont plus les mêmes qu’aujourd’hui. Avec un nombre grandissant de pays en confinement, les conséquences deviennent de plus en plus complexes et lourdes. Je suis convaincu que le plan de relance évoluera pour encore mieux soutenir le pays. La Chine qui reprend vie est un signe positif. Il indique que le confinement peut fonctionner et que les perturbations dureront quelques semaines. Il faudra que tous les Mauriciens se resserrent les coudes et qu’on soit solidaire pour vivre les « temps margoze» du moment. Ce sera un peu comme Hollanda, la vie s’arrêta pour quelques jours en février 1994 et puis petit à petit on s’en est remis. La conjoncture actuelle sera plus difficile et durera un peu plus longtemps.