Satyajeet Soorjonowa : «Le coronavirus a plongé le secteur du tourisme mauricien dans l’incertitude» | Défi Économie Aller au contenu principal

Satyajeet Soorjonowa : «Le coronavirus a plongé le secteur du tourisme mauricien dans l’incertitude»

Satyajeet Soorjonowa
Satyajeet Soorjonowa, directeur du J-Hospitality & Tourism Management

Le directeur du J-Hospitality & Tourism Management ne cache pas ses craintes concernant les répercussions du coronavirus sur le secteur du tourisme, déjà au rouge avec la régression des arrivées. « Il appartient aux autorités de mettre en place toutes les conditions afin de barrer la route à l’apparition de ce virus à Maurice », soutient Satyajeet Soorjonowa.  

« Presque tous les équipements utilisés dans les hôtels, et aussi  les restaurants qui dépendent du flux touristique, sont importés de la Chine. »

Votre institution est engagée dans la formation en Hospitality & Tourism Management. Comment se présente le secteur du tourisme surtout en terme d’emplois pour vos élèves ?
Ce n’est pas de notre ressort de trouver une solution à cette question, car notre établissement s’est donné pour seule et unique mission de former les jeunes aux métiers de l’hôtellerie. Depuis l’éclatement du coronavirus, une situation nouvelle est apparue et il appartient aux autorités de mettre en place toutes les conditions afin de barrer la route à l’apparition de ce virus à Maurice.  Je me pose la question sur la disponibilité des emplois dans différents secteurs avec le nombre de recalés aux examens du School Certificate. Les salaires restent souvent figés dans le secteur de l’hôtellerie, ce qui conduit les jeunes qui sont formés à prendre de l’emploi sur des croisières. Par ailleurs, je me demande si, du jour au lendemain, les collégiens qui ont obtenu 4 credits pourront passer de la filière académique à la formation professionnelle.

Concrètement, de quelle manière le Coronavirus affectera le secteur du tourisme ?
Presque tous les équipements utilisés dans les hôtels, et aussi les restaurants qui dépendent du flux touristique, sont importés de la Chine. Ce pays est déjà à genoux, mais heureusement les usines ont recommencé à tourner. Cependant, il faudra attendre qu’elles tournent à plein régime pour produire pour les exportations. Ça prendra un peu de temps. Ailleurs, en Europe, soit en Italie, le virus progresse de manière hallucinante. Le coronavirus a plongé le secteur dans l’incertitude, mais on sait déjà que le secteur du voyage et celui de l’aviation sont touchés. Les opérateurs dans le secteur de l’hôtellerie seraient sans doute plus rassurés si la diversification, que je souhaitais, avait été prise en compte.

Comment la diversification aurait-elle aidé ?
Aujourd’hui encore, nous sommes dans le même schéma de développement de ce secteur, où les hôtels, la plage et le soleil sont présentés comme les seuls atouts de Maurice. Petit à petit, nous assistons à l’érosion de nos avantages comparatifs, mais le plus grave est à craindre, car le coronavirus affectera la croissance dans nos principaux marchés, avec pour conséquence que le nombre de visiteurs risque de chuter et avec leurs dépenses. Déjà, depuis ces dernières années, les chiffres indiquaient cette tendance au niveau de leurs dépenses durant leur séjour à Maurice.

Pourquoi les touristes rechignent-ils à dépenser comme ils le faisaient autrefois ?
D’emblée, une première remarque s’impose ici : ce n’est plus le même profil de touristes qui vient à Maurice, celui des années 2000-2020 cherche bien entendu le triptyque soleil-plage- palace. Ce dernier souhaite aussi des expériences authentiques et naturelles. Car pour le soleil et la plage voire le sourire, il peut encore, avec un billet d’avion moins cher, se rendre au Sri Lanka, aux Seychelles ou aux Maldives. Prenons le cas du Sri Lanka où, après un terrible conflit ethnique et le tsunami de 2004, son industrie a réussi à sortir la tête hors de l’eau. Ce pays se trouve dans une zone potentiellement touristique pas loin de Singapour, la Chine, la Malaisie et Hongkong, entre autres. C’est une région riche en fruits de mer alors que sa population est accueillante et déploie des trésors d’énergie pour accueillir le touriste.

À Maurice, une fois dépassé le littoral, il n’y a presque plus rien à découvrir, aucun lieu historique n’est mis en valeur, les fêtes culturelles sont quasi-absentes dans les guides touristiques, sans oublier des poubelles encore remplies à 8 h dans certains centres-villes, des trottoirs défoncés et qui ne sont pas ‘friendly’ pour les personnes avec un handicap. Par là, je veux dire que ni les régions balnéaires et encore moins les villes n’ont des politiques d’accueil pour l’étranger qui, pourtant, fait tourner de nombreuses professions à Maurice. On ne voit en lui qu’un individu avec les poches remplies d’euros et qu’on pourrait aisément dépouiller. Dès lors,  faut-il s’étonner que le touriste ne visite plus le marché central, où les prix des produits artisanaux sont multipliés par cinq et hors de contrôle des autorités.  

Est-ce que cela justifie la pratique du « All in one » ?
Sûrement pas. Le touriste, dont les sous sont comptés, sait désormais, et cela, grâce aux sites dédiés sur le net, qu’il peut trouver des alternatifs au circuit des grands hôtels. La prolifération des bungalows construits à dix minutes de marche de la plage, en est la parfaite illustration. Dans certains de ces immeubles, le décor intérieur n’a souvent rien à envier aux chambres d’hôtels 4-étoiles : le confort a été mûrement réfléchi, avec la télé écran plat, les chaînes satellitaires et la connexion WiFi. Le touriste au budget moyen n’en demande pas plus et à l’heure des repas, il part dans de petits restaurants situés à proximité, lesquels lui servent des plats authentiquement mauriciens à des prix nettement moins chers que ceux des restaurants des grands hôtels.

Plutôt que d’acheter, par exemple, une bouteille d’eau à Rs 100 dans ces hôtels, il va l’avoir à Rs 30, comme le paie le Mauricien. Je pourrais multiplier les exemples où le touriste a compris qu’il lui suffit de quitter l’hôtel où il loge pour accéder à des régions où des produits variés et intéressants coûtent moins cher. J’ai le sentiment que certains, au niveau des autorités dans l’industrie du tourisme, ne connaissent pas cette réalité. Dans certains hôtels, on rencontre parfois les mêmes salariés blasés qui se contentent de toucher leurs salaires sans jamais réfléchir à proposer des idées innovantes. J’ai noté que ce sont souvent des personnes qui ont été formées sur le tas et totalement indifférentes aux nouveaux modes de communication qui, aujourd’hui, permettent aux touristes de noter les hôtels où ils séjournent.

Le centre de formation comme le vôtre répond-il à cette réalité dans ses modules ?
Bien entendu, nous en tenons compte, car je mets l’accent sur le fait que le secteur du tourisme reste dynamique et est soumis à une féroce concurrence. Je fais ressortir le fait que l’offre mauricienne a peut-être atteint la saturation et qu’il est impératif de revaloriser le contact humain, car il ne suffit pas de servir le touriste, il faut l’écouter, communiquer avec lui et autant que possible, lui donner des renseignements sur Maurice. À ce titre, la formation doit être pointue et en équation avec les attentes du touriste. Chez nous, durant son apprentissage, le jeune a l’occasion de travailler à temps partiel dans des hôtels qui sont nos partenaires. J’ai toujours fait prévaloir cette dimension pratique durant les cours, car cela permet aux apprenants de se familiariser avec les réalités du métier, surtout le ‘customer experience’.