Salil Roy : «Le recours à la main-d’œuvre étrangère est inévitable»
L’industrie sucrière n’est pas à l’agonie. Mieux, elle pourrait même retrouver un deuxième souffle en ciblant des marchés de niche pour ses sucres spéciaux et revalorisant le coût de la bagasse. Mais les défis incarnés par des champs abandonnés et la pénurie de main-d’œuvre risquent de freiner cet élan, explique Salil Roy, président de la Planters Reform Association.
« Personne ne semble se rendre compte qu’une éventuelle disparition de la filière cannière serait désastreuse sur le plan social et environnemental. »
Comment se porte l’industrie sucrière mauricienne après la disparition des protocoles qui lui étaient très favorables et l’apparition des betteraviers sur ses marchés traditionnels ?
Depuis ces dernières années, nous faisons face à deux réalités : nous n’avons plus ces béquilles qui étaient les protocoles et nous subissons la compétition des betteraviers, découlant des conventions liées au World Trade International. Malgré ces obstacles, nous avons pu faire preuve de résilience grâce à des mesures d’accompagnement. Parmi, les programmes d’épierrage qui ont pu rendre un bien grand service à de nombreux de petits planteurs. Mais, il faut aussi faire ressortir que nous subissons les effets des facteurs exogènes qui sont hors de notre portée, sans oublier les facteurs endogènes que nous essayons de maîtriser. À la faveur des dernières élections législatives, le gouvernement sortant a promis une subvention de Rs 25 000 aux petits planteurs pour chaque 60 tonnes de cannes. Une mesure dont il souhaite qu’elle restituera la compétitivité du secteur et qui apporte une bouffée d’oxygène.
Le secteur sucre est-il réellement menacé, comme le sont le textile et le tourisme ?
Je ne vois pas Maurice exister sans la canne. J’entends dire depuis ces derniers temps que ce secteur est menacé, mais personne ne semble se rendre qu’une éventuelle disparition de la filière cannière serait désastreuse sur le plan social et environnemental. D’une part, ce serait des milliers de familles qui seraient privées d’emploi, avec des conséquences irréversibles sur l’emploi, dont l’économie, mais aussi la désintégration du tissu social qui a longtemps servi à maintenir leur cohésion. Bien entendu, comme tout secteur d’activités majeur de Maurice, l’industrie sucrière a connu des années d’intenses conflits sociaux, mais aucun travailleur n’a voulu sa disparition.
Historiquement, elle a permis à des milliers de familles de monter dans l’échelle sociale pour offrir à leurs enfants la possibilité de réussir leur parcours scolaire. Sur un deuxième plan, mais tout aussi important, la culture de la canne a permis de contenir les émissions du dioxyde de carbone. Puis, la bagasse permet de produire la biomasse et d’impacter positivement notre balance de paiements. Nous sommes capables d’utiliser un mixte bagasse/charbon. Malheureusement, nous n’en sommes qu’à moins de 20 % de notre production de fuel à base de fossile. Il faut accentuer dans cette direction avec de l’énergie propre. On peut commencer par récupérer les terres en pente pour étendre la culture de la canne à forte teneur de fibres. Mais dans l’immédiat, le prix de la bagasse reste dérisoire, comme l’a démontré une étude la Banque mondiale. Il faut valoriser le prix de la bagasse.
Comment assurer la pérennité de l’industrie cannière ?
À différentes étapes de l’histoire moderne de ce secteur, il a fallu prendre des décisions difficiles mais courageuses, dans le dialogue entre les usiniers, les travailleurs et le gouvernement. En raison de l’histoire de ce secteur et de son poids économique, il a fallu des compromis de tous cotés, pour éviter un désastre social et économique. Aujourd’hui, ce secteur doit envisager son avenir en tenant compte des besoins du pays en énergie propre et l’État doit commencer par soutenir toute entreprise destinée à dé-carboniser l’environnement. Le deuxième axe concerne les sucres spéciaux dont la production est de quelque 120 000 tonnes, avec une prévision de 180 000 tonnes à long terme.
C’est là un véritable créneau qui a atteint une référence à l’échelle internationale. Nous ne sommes sans doute pas loin de la première place. Certes, nos sucres spéciaux sont très appréciés, mais ça a un coût et on ne produit pas en gros volumes, ce qui représente un obstacle face à nos concurrents. Cependant, on peut contourner cette problématique en recherchant des marchés de niche. L’année dernière, alors que je me trouvais en Angleterre, je suis tombé sur certains de nos sucres spéciaux dans un supermarché Tesco. Nous avons aussi l’avantage de nous conformer aux normes, notamment le label Fair Trade, qui interdit, entre autres, la main-d’œuvre infantile, ou encore les normes de traçabilité dans le sucre.
Peut-on exploiter d’autres marchés en dehors de nos clients traditionnels ?
Dans tout pays qui est dans une dynamique de développement, il existe la demande pour le sucre. Le Syndicat des sucres s’y positionne déjà. On écoule un peu de sucre en Afrique, mais sans perdre de vue que c’est un gros marché de 50 pays. Avec l’Inde, nous finalisons en ce moment un accord concernant le textile, mais surtout le sucre dans le cadre du Comprehensive Economic Cooperation and Partnership Agreement (CECPA).
Quels sont les défis auxquels doit face ce secteur ?
Il existe deux gros défis : l’abandon des terres et le manque de main-d’œuvre. Dans le premier cas, c’est la troisième génération issue de la communauté des petits planteurs qui tourne le dos aux champs. L’image du laboureur qui est déjà au champ aux petites heures du matin n’est pas pour séduire les jeunes. C’est un travail très dur, épuisant pour un salaire qui n’y correspond pas. Mais pardessus tout, c’est le travail de la terre qui n’attire plus. On ignore ou on oublie que les anciennes générations ont travaillé dans des conditions autrement plus dures, sans subsides ni mesures d’accompagnement.
Pourtant, la mécanisation et d’autres moyens modernes ont beaucoup remplacé le travail manuel…
C’est vrai, mais tout ce qui est en relation avec le travail manuel ne séduit plus les jeunes. L’élevage et la production laitière en sont des exemples, où on n’arrive toujours pas à produire pour le marché local.
Quelle est la solution face à la pénurie de main-d’œuvre locale ?
On n’aura pas d’autres choix que de recourir à la main-d’œuvre étrangère, comme on le fait dans le textile, le bâtiment et la boulangerie, entre autres. Il faut mettre sur pied un Service Provider au sein de chaque usine, qui se chargera du recrutement de cette main d’œuvre, sans passer par des intermédiaires. Je pense que l’avenir de l’industrie repose largement sur la main-d’œuvre étrangère. L’État doit apporter un soutien financier à cette démarche avec un droit de regard sur la charge des petits planteurs. De son coté la Mauritius Cane Industry Authority doit investir dans les équipements, en se prévalant elle-aussi d’un droit de regard sur les propriétés pour s’assurer que les cannes arrivent à l’heure à l’usine. Il faut absolument s’inspirer de l’administration d’Alteo, qui depuis trois générations de travailleurs, a su établir un lien de confiance avec ces derniers, ayant parvenu à créer une ‘win-win situation’ entre patronat et travailleurs.
À l’ère de la transition dans la filière canne, y a-t-il de la place pour viser l’autosuffisance alimentaire en diversifiant dans les légumes, entre autres ?
Bien entendu. Ce serait une réponse aux pénuries récurrentes que le pays connaît chaque année, où la note des importations de légumes est souvent salée. Les terres laissées à l’abandon puis reconverties pourraient aussi servir à l’élevage, ce qui nous donnerait du poulet, des œufs et du lait. Cette activité pourrait déboucher sur des entreprises de transformation alimentaire.
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