Gilbert Espitalier-Noël : «L’élimination du plastique sera un défi majeur d’ici juin 2021» | Défi Économie Aller au contenu principal

Gilbert Espitalier-Noël : «L’élimination du plastique sera un défi majeur d’ici juin 2021»

Gilbert Espitalier-Noël
Gilbert Espitalier-Noël, CEO de Beachcomber Resorts & Hotels

Beachcomber Resorts & Hotels, le premier groupe hôtelier du pays, a publié le vendredi 7 février son bilan financier pour les trois derniers mois de l'année 2019. Le même jour, l'annonce a été faite qu’il compte procéder à l'élimination totale du plastique à usage unique dans ses établissements d’ici mi-2021. Dans cet entretien, Gilbert Espitalier-Noël, le Chief Executive Officer du groupe, fait le point sur ces deux sujets. Il fait aussi une analyse de la situation prévalant au sein de l’industrie du tourisme.

« Le plastique a envahi notre île. Il nous paraît urgent de s’attaquer à ce problème. Beachcomber veut être à l’avant-plan de ce combat. »

En une année, Beachcomber sera un opérateur hôtelier n’utilisant pas de plastique. Qu’est-ce qui motive cette décision et sa mise à exécution dans un délai si court ?
Beachcomber est fortement engagé dans de nombreuses initiatives visant à préserver et à améliorer notre environnement. En 2018, nos hôtels ont reçu la certification Earthcheck Silver et en 2019, nous avons lancé notre programme 52 engagements. Nous sommes une île à vocation touristique et l’environnement est l’un de nos atouts principaux. Il faut à tout prix le préserver. Le plastique a envahi notre île. Il enlaidit nos villages, nos villes et nos routes. Il pollue nos rivières et nos lagons. C'est devenu un véritable fléau. Il nous paraît urgent de s’attaquer à ce problème. Et Beachcomber veut être à l’avant-plan de ce combat. Nous avons déjà parcouru un long chemin dans ce sens et avons déjà éliminé des centaines de milliers d’éléments plastiques de nos hôtels. D’ici juin 2021, l’élimination complète du plastique à usage unique sera un challenge majeur. Nous y mettons beaucoup de ressources afin d’y arriver et nos équipes sont très motivées.

Il est malheureusement connu que les mauvaises habitudes sont tenaces. Tout le monde n’a pas encore pris conscience de l’importance de préserver notre environnement qui est si fragile. Donc, nous pensons que la solution qui donnera des résultats rapides est celle qui élimine les produits polluants à la source. Par exemple, il est inconcevable qu’un concombre soit emballé dans un film plastique qui est lui-même avec d’autres concombres dans un sac en plastique alors que ces concombres pourraient nous être livrés dans des contenants réutilisables.

Quelles sont les implications financières de cet engagement et comment le groupe compte-t-il absorber ces frais additionnels ?
Il est difficile de faire une estimation précise de ce que coûtera cet engagement. Je dirai que cela relève plus d’un challenge organisationnel et logistique que financier. Certains opérateurs n’ont pas encore senti l’urgence de la situation et le besoin pressant de modifier notre façon d’opérer. La plus grosse difficulté sera donc de convaincre tous nos fournisseurs de changer leurs emballages et leurs méthodes de travail. Nous entrons rapidement dans une nouvelle ère qui apportera de grands changements dans notre mode de vie et dans la façon dont nous consommons. Tous les acteurs économiques et politiques auront à s’engager fortement dans ce combat. Les choses doivent et vont évoluer très vite.

Tenant compte de la stratégie de Beachcomber et de l’hôtellerie en général, est-ce que nous assistons à l’émergence d’un tourisme durable, responsable et respectueux des multiples critères associés au développement durable ?
Contrairement à certaines perceptions et idées reçues, la majorité des opérateurs de l’hôtellerie mauricienne a toujours été à l’avant-garde dans ce combat. Chez Beachcomber, tous nos hôtels sont équipés d’ampoules LED depuis de nombreuses années, nous traitons toutes nos eaux usées dans des stations de traitement sur place et les eaux ainsi traitées sont utilisées pour irriguer nos jardins. Nous avons installé des systèmes de climatisation à faible consommation énergétique. Nous avons aussi installé des panneaux solaires et une partie de l’eau chaude provient de l’énergie solaire. Les plages propres de Maurice sont celles qui se trouvent devant les hôtels. Nous installons en ce moment même des panneaux photovoltaïques sur les toits de tous nos hôtels. Depuis plus d’un an, nous recyclons nos excédents alimentaires avec l’aide de l’ONG Foodwise. La liste est longue. Il est néanmoins possible d’aller encore plus loin et c’est bien ce que nous nous engageons à faire.

« L’érosion côtière et la détérioration de nos lagons sont deux des problèmes majeurs auxquels l’industrie hôtelière fait face. La montée du niveau de la mer et la mort de nos récifs contribuent à cette détérioration. »

Dans cette équation de tourisme durable, est-ce que la protection des plages, la régénération des coraux sont des projets bien entamés ?
L’érosion côtière et la détérioration de nos lagons sont deux des problèmes majeurs auxquels l’industrie hôtelière fait face. La montée du niveau de la mer et la mort de nos récifs contribuent à cette détérioration. C’est un challenge national et il faut un engagement à la hauteur de ce challenge. Des initiatives prometteuses sont en cours pour la mise en place des fermes de corail. Il faut les encourager. Le sujet de l’érosion est complexe et difficile. Cela touche aussi aux différentes plages publiques. Le problème revêt donc un caractère national. Il faut y mettre les moyens, tant humains que financiers, afin de permettre au pays d’apporter une réponse pérenne à ce phénomène. Nous travaillons déjà en étroite collaboration avec les autorités concernées par rapport au problème d’érosion dans la région de Trou-aux-Biches, par exemple.

Au-delà des éléments de développement durable pour assurer sa pérennité l’activité hôtelière se doit d’être rentable. Comment se présente votre bilan pour la période d’octobre à décembre 2019 ?
Beachcomber a enregistré une performance financière intéressante au cours de ce trimestre, avec une croissance de 7 % de son chiffre d’affaires et de 30 % de ses profits. Nous avons donc amélioré nos résultats alors que l’ensemble du secteur a connu un recul durant ce même trimestre. Ces résultats sont le fruit d’un travail qui a commencé depuis plusieurs années, avec des changements majeurs au niveau de notre structure financière, l’organisation de nos opérations et de nouvelles initiatives commerciales. Nos opérations hôtelières à Marrakech ont connu une belle progression au cours des deux dernières années et contribuent maintenant de manière positive à l’EBITDA du groupe. Le développement du nouveau Resort à Sainte-Anne aux Seychelles progresse comme prévu et cet hôtel sera livré à Club Med en septembre 2020. Les revenus locatifs très importants qui seront reçus de Club Med auront un impact significatif sur les résultats du Groupe à partir de la prochaine année financière.

Dans le même ordre d’idées, quelle est votre analyse de l’environnement touristique en 2019 ? En tant que CEO du premier groupe hôtelier de Maurice, attendiez-vous à cette performance ? Aurait-on pu faire mieux ?
Avec un recul de près de 2 % dans les arrivées touristes en 2019, il est évident que la performance nationale n’a pas été bonne, et bien en deçà de nos attentes. Il nous faut une plus grande cohérence entre les différents acteurs de ce secteur afin de dégager une véritable stratégie nationale pour notre secteur touristique. Nous pouvons faire beaucoup mieux, car l’île Maurice a bien plus d’atouts que certains de nos concurrents directs. Il faut une approche holistique pour la destination. C’est ce qui nous manque aujourd’hui.

Comment s’annonce l’année 2020 avec le coronavirus assombrissant déjà le tourisme en ce début d’année ?
L’année 2020 va être impactée à court terme par la quasi-disparition des arrivées en provenance de Chine. Ce marché représentant environ 45,000 arrivées sur une année. Il est clair que nous allons en pâtir. Ce n’est qu’à travers des actions fortes, cohérentes et coordonnées que nous pourrons compenser cette baisse par une croissance sur d’autres marchés.

Trois mois après les élections générales et la nomination d’un nouveau ministre du Tourisme en la personne de Joe Lesjongard, est-ce que vous constatez que le secteur et ses partenaires ont effectivement pris le taureau par ses cornes pour une solide campagne de promotion à travers le monde ? Que préconisez-vous à ce sujet ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer le nouveau ministre du Tourisme et je lui ai fait part de mes convictions. L’Association des hôteliers et restaurateurs de l’Ile Maurice (AHRIM), a aussi fait un certain nombre de propositions. Je lui ai partagé ma conviction que nous devons rapidement élaborer ensemble une nouvelle stratégie touristique pour le pays.
Nous sommes heureux de noter que le programme gouvernemental, récemment présenté au Parlement, prévoit de faire participer activement tous les acteurs concernés à l’élaboration d’une nouvelle stratégie pour l’industrie du tourisme, considérant cela comme une priorité. Cette stratégie devra faire provision pour des actions promotionnelles plus soutenues, mais devra aussi intégrer un plan d’action clair et précis pour l’environnement, l’accès aérien, le positionnement qualitatif de notre destination, un meilleur contrôle du secteur informel, entre autres. Il faut une approche holistique. En absence de cette stratégie, je crains que notre performance continue à être en dessous de son potentiel.

Le salaire minimal et la Workers’ Rights Act ont-ils eu un impact conséquent sur les finances du groupe ? Des réajustements au personnel sont-ils envisagés dans le court et moyen terme ?
Oui, l’entrée en vigueur de la Workers' Rights Act a un impact significatif sur les coûts d’opération du Groupe. L’industrie est appelée à revoir la façon dont elle opère afin de préserver ses marges opérationnelles qui s’érodent depuis dix ans. Il nous faudra travailler avec moins de monde. C’est un réajustement qui se fera naturellement sur les mois et années à venir. Il n’y aura pas de licenciements.

Parlant du personnel, l’hôtellerie fait face à une pénurie d’employés de qualité. Où est-ce que le bât blesse ?
C’est en effet un problème épineux pour l’industrie. Beaucoup de jeunes trouvent les horaires de travail et la rigueur requise trop contraignants. C’est un problème qui n’a pas de solution facile, mais sur lequel nous travaillons activement avec l’AHRIM. Depuis 20 ans, notre programme « Projet Employabilité Jeunes » (PEJ) s’emploie à recruter et former environ 300 jeunes chaque année. En plus de permettre à ces jeunes de découvrir les métiers de l’hôtellerie, ce projet représente une pépinière intéressante de talents pour nos hôtels. En 2020, nous avons amélioré le programme afin de mieux coller aux besoins actuels de l’industrie.

Aussi, nous collaborons avec les autorités concernées afin d’élaborer des programmes adaptés aux besoins de nos hôtels d’une part, et de ceux d’une société en mutation d’autre part. Enfin, nous mettons en place divers programmes visant à dynamiser le recrutement, par exemple en invitant les mères de famille à s’engager dans l’hôtellerie tout en aménageant des jours et des horaires flexibles, ou encore en adaptant le cursus des jeunes étudiants en apprentissage.

Le secteur informel est omniprésent sur la place touristique ? Est-ce que les instances régulatrices ont-elles déjà pris les mesures appropriées ? Quelle est l’incidence sur la destination mauricienne ?
L’offre d’hébergement hors hôtels (appartements, etc.) est aujourd’hui plus importante que l’offre hôtelière. En effet, il y a environ 15,000 chambres non-hôtelières à louer à Maurice, alors que les hôtels comptent un total de 13,000 chambres.  Il suffit de taper « wchambres à Maurice » sur AirBnB ou Booking.com pour voir cette offre pléthorique à des prix deux étoiles. Moins d’un tiers de ces chambres non-hôtelières sont enregistrées auprès de la Mauritius Revenue Authority et la Tourism Authority. Elles sont donc dans le secteur « informel », échappant ainsi à tout contrôle qualitatif, sécuritaire, ne contribuant rien sous forme de taxes, de promotion de la destination.

Cette offre très peu qualitative tire la destination vers le bas. Elle est une source de problème pour l’image sécuritaire du pays et consomme les ressources sans contribuer comme le fait le secteur formel qui, lui, est dûment enregistré et régulé. Les autorités sont conscientes de ce problème et tout indique que des mesures fortes seront bientôt prises afin de protéger la destination d’une grave dégradation de son image.

« L’industrie touristique mauricienne passe certes par des moments difficiles, mais n’est quand même pas au mouroir. Les résultats que nous venons de publier, même s’ils concernent le meilleur trimestre de l’année, indiquent que la situation n’est pas désespérée. »

Au final, le tourisme mauricien peut-il continuer à survivre dans un tel environnement ?
L’industrie touristique mauricienne passe certes par des moments difficiles, mais n’est quand même pas au mouroir. Les résultats que nous venons de publier, même s’ils concernent le meilleur trimestre de l’année, indiquent que la situation n’est pas désespérée.

Maurice a des atouts énormes, bien plus nombreux que ceux de nos concurrents directs. En revanche, il nous faut une approche plus holistique et partagée par toutes les parties prenantes. Il faut que les opérateurs, le ministère du Tourisme, les lignes aériennes, la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), le ministère de l’Environnement, la Tourism Authority, entre autres, développent ensemble un plan d’action clair pour les dix années à venir. Une fois ce plan élaboré par tous les acteurs, avec la coordination du ministère du Tourisme, nous serons en mesure de pousser dans la même direction et créer une vraie différence. Je pense que nous pouvons facilement redonner de belles couleurs à notre destination. Je suis confiant qu’avec l’impulsion du nouveau ministre, nous allons y arriver. Comme je l’ai déjà mentionné au ministre, Beachcomber est prêt à apporter sa contribution à l’élaboration de ce plan d’action.