Jean Cyril Monty : «La propagation du coronavirus affectera notre fourniture en ail» | Défi Économie Aller au contenu principal

Jean Cyril Monty : «La propagation du coronavirus affectera notre fourniture en ail»

Jean Cyril Monty
Jean Cyril Monty (agronome et consultant en agri-business)

Maurice importe la quasi-totalité d’ail de la Chine. Avec la propagation du coronavirus, la fourniture en ail risque d’être compromise, s’inquiète Jean Cyril Monty, consultant en agri-business. L’agronome recommande que le pays revoie sa stratégie nationale concernant la production de légumes durant la période estivale.

Avec le mauvais temps qui a affecté la production de légumes cette année, le pays a dû se tourner vers l’importation de certains produits. Quel est votre regard sur cette situation qui risque de perdurer avec le changement climatique ?
Les trois premiers mois de l’année sont non seulement la période la plus chaude mais aussi la plus pluvieuse, soit une moyenne de 46 % de la pluviométrie annuelle. Sans oublier que ces trois mois font partie de la saison cyclonique très active, avec des conditions favorables à la formation des phénomènes cycloniques qui représentent une menace permanente pour le pays.

Avec des conditions climatiques peu propices à la culture des légumes, les mois de janvier à mars correspondent à la période de l’année durant laquelle la production de légumes est au plus bas. Ainsi, une majorité de planteurs mettent leurs terres en jachère en attendant la période favorable pour le début des plantations, soit à partir d’avril. À titre d’information, la production moyenne de légumes durant cette période ne représente qu’environ 15 % de la production nationale contre 40 % pour celle de septembre-novembre, période durant laquelle la récolte nationale est à son niveau le plus haut.

Tenant compte des facteurs cités plus tôt, il est clair que planter des légumes pour les récolter durant le premier trimestre de l’année est un exercice très périlleux que les planteurs entreprennent en toute connaissance de cause, notamment pour des raisons économiques.

Avec le réchauffement climatique, la production de légumes durant le premier trimestre de l’année deviendra davantage problématique, comme nous l’avons déjà noté en 2018 et 2019 ainsi qu’en janvier de cette année. De plus, avec les pluies torrentielles et les averses, de nombreuses plantations se retrouvent sous les eaux, la température est en hausse, le seuil d’humidité est extrêmement élevé. Ainsi, on devrait revoir la stratégie nationale concernant la production de légumes durant la période estivale. Dans de telles conditions, promouvoir l’usage de la culture protégée n’est certainement pas la solution.

Le pays peine à être autosuffisant. Quels sont les obstacles à l’autosuffisance ?
Aucun pays au monde, même pas les plus grands pays producteurs agricoles de la planète, n’est autosuffisant en produits alimentaires. Ceci, pour des raisons économiques, agro-climatiques, de surfaces agricoles limitées, etc. Ainsi, c’est un leurre que de croire que Maurice peut produire tout ce qu’elle consomme. Actuellement, le pays a une autosuffisance alimentaire d’environ 25 %. Ce qui représente un volume d’environ 175 000 tonnes de produits alimentaires.  

Sur la scène internationale, l’Australie continue à subir des incendies que suivent de près les importateurs mauriciens. À quoi Maurice peut-il s’attendre tout en sachant que nous importons des produits laitiers, de la viande ou encore des grains secs du pays des kangourous ?
La sècheresse qui sévit dans l’Est de l’Australie depuis plusieurs années déjà et des vagues de chaleur record ainsi que des feux de brousse, d’une ampleur jamais égalée entre novembre 2019 et janvier dernier, ont sérieusement affecté la production alimentaire, notamment les produits d’élevage comme le lait. Selon les rapports des experts, cette année l’Australie pourrait enregistrer le niveau le plus bas de sa production laitière depuis plus de vingt ans, avec un volume inférieur à 9 milliards de litres et ainsi voir le volume exporté réduit. Tenant compte de l’évolution de la production mondiale de lait, il apparaît que dans les mois à venir une augmentation du prix du lait n’est pas à écarter, incluant les produits laitiers.

Le coronavirus est sur toutes les lèvres. Quel pourrait être l’impact de nos importations alimentaires en provenance de la Chine avec cette épidémie qui suscite de plus en plus d’inquiétude ?
La Chine est un important fournisseur de produits alimentaires pour notre pays. Tout d’abord, la quasi-totalité d’ail consommé à Maurice - environ 1 800 tonnes annuellement - est importée de ce pays. Par ailleurs, nous importons divers autres produits alimentaires de la Chine, entre autres, des conserves (maïs, champignons, viande porcine, etc.), des champignons secs, différentes variétés de grains secs dont les haricots rouges, etc. La propagation du coronavirus aura certainement des répercussions sur les exportations chinoises dans l’ensemble. À ce stade, ma crainte concerne notre fourniture en ail. Si jamais nous ne pouvons importer ce condiment de la Chine, je doute fort que l’Agricultural Marketing Board (AMB) pourra trouver un autre pays fournisseur, car à ce jour tous ses efforts dans ce sens sont demeurés vains.