Coronavirus : les grands hôtels plus à risque

Avec ses 1,3 milliard d'habitants, la Chine est le pays qui fournit le plus grand nombre de touristes au monde entier : Alors que seulement 10 % de Chinois ont un passeport, plus de 150 millions d’entre eux ont voyagé à l'étranger en 2018. Mais le coronavirus va définitivement changer la donne cette année. Quel impact alors sur notre secteur du tourisme ?
Le Discours programme prononcé, le 24 janvier dernier, révèle que le gouvernement veut travailler avec tous les acteurs de l’industrie touristique locale pour réorganiser ce secteur vital de notre économie et revoir le ‘branding’. On veut consolider les marchés traditionnels, cibler de nouvelles sources et intensifier la diversification des offres.
Malheureusement, l’épidémie de coronavirus en Chine va certainement bouleverser le tourisme local et mondial. Face à cette épidémie, le gouvernement chinois a suspendu les voyages organisés et déconseillé à ses ressortissants de partir à l'étranger. Selon les analystes du tourisme global, cette situation risque d'avoir un impact économique plus lourd comparé aux précédentes épidémies de SARS, en 2002-2003, ou encore la grippe A (H1N1) de 2009.
À Maurice, depuis un certain temps, on assiste à un déclin dans les arrivées depuis certains pays pourtant considérés comme marchés émergents, dont la Chine. Alors que les autorités et les principaux acteurs du secteur essayent de remonter la pente en analysant les causes de ces chutes, voilà que le coronavirus vienne corser l’affaire.
149,7 millions de Chinois a voyagé
Selon l'Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), un total de 149,7 millions de Chinois a voyagé à l'étranger en 2018. Cela représente une augmentation de 15 % comparé au chiffre de 2017. Au classement mondial, en volume, les touristes chinois devancent les Allemands (108,5 millions de départs en 2018) et les Américains (92,6 millions). En Europe, la France est le premier pays visité par les Chinois. Environ 2,2 millions ont visité la France en 2018. La Chine est le pays dont les ressortissants dépensent le plus lorsqu'ils sont en voyage : depuis 2012, toujours selon l’OMT, ils ont dépassé les États-Unis et l'Allemagne, deux pays dont les voyageurs sont considérés comme les plus dépensiers. À Maurice, les arrivées touristiques de la Chine chutent depuis 2017, comme indiqué dans le tableau plus loin.
Arrivées touristiques de nos marchés émergents
Pays | 2017 | 2018 | 2019 |
Inde | 86,294 | 85,765 | 75,673 |
Chine | 72,951 | 65,756 | 42,740 |
Pakistan | 1,088 | 1,207 | 932 |
Malaisie | 4,352 | 2,264 | 2,045 |
Israël | 1,698 | 2,165 | 3,082 |
Arabie saoudite | 5,142 | 16,507 | 22,788 |
Zohra Gunglee : « Même les gens d’autres pays éviteront de voyager »
L’économiste Zohra Gunglee pense que le coronavirus aura bien un impact majeur sur l’industrie touristique, cette année. Selon elle, il pourrait y avoir une baisse drastique, non seulement dans le nombre de touristes chinois, mais aussi parmi les touristes d’autres pays. « En ce moment, beaucoup de personnes à travers le monde pourraient tout simplement éviter de voyager, de crainte de contracter le virus. Ils vont attendre que la situation s’améliore », explique-t-elle. « Même les Mauriciens éviteront de prendre l’avion, si ce n’est pas une nécessité. » Elle ajoute qu’avec une baisse des activités touristiques dans plusieurs pays qui dépendent énormément sur les millions de touristes chinois, les entrepreneurs verront leurs chiffres d’affaires baisser, et cela affectera également les employés, qui à leur tour annuleront leurs projets de voyage. Elle conclut qu’outre le tourisme, d’autres secteurs comme le commerce, la restauration, le manufacturier et la construction pourront être affectés en raison d’un ralentissement de la production, en Chine, en ce moment.
Ajay Jhurry : « Je crains une braderie chez les grands »
Ajay Jhurry, président de l'Association of Tourist Operators (ATO), explique que ce sont plutôt les grands hôteliers qui subiront l’impact de l’absence des touristes chinois en ce moment. Selon lui, les tours opérateurs chinois envoient leurs clients dans les grands hôtels et les petits hôteliers n’ont pas vraiment une énorme clientèle chinoise. Cependant, ce sont les opérateurs d’activités touristiques qui seront beaucoup affectés, car les touristes chinois sont très friands de nos activités de loisirs. « Depuis quelque temps, il y a une baisse dans le nombre de touristes chinois, mais là, c’est un embargo complet, surtout avec l’annulation de vols. Les hôteliers devront trouver d’autres alternatives pour combler ce manque à gagner », dit-il. Mais c’est bien là que d’autres contraintes peuvent surgir. Il craint que les grands hôtels, pour maintenir leur taux de remplissage, bradent les prix, ce qui va alors concurrencer les petits opérateurs. « Les gros opérateurs vont sûrement venir avec des packages attrayants pour attirer d’autres clients, et j’espère que les prix respecteront la classification des hôtels pour ne pas pénaliser les petits. »
Kevin Teeroovengadum : « Ceux évitant l’Asie pourraient venir à Maurice »
Est-ce que le coronavirus aura-t-il un impact sur notre industrie du tourisme ? Oui, dit l’économiste Kevin Teeroovengadum, car avec la suspension des vols vers la Chine et Hongkong, nous fermons nos portes à la Chine à juste titre, pour l'instant et, espérons-le, temporairement jusqu'à ce que le monde sache exactement comment contenir ce virus. « Cela signifie que le nombre de visiteurs chinois chutera encore cette année. Avant le Coronavirus, il y a déjà eu une baisse drastique d'environ 35 % des visiteurs chinois à Maurice. »
Étant donné que notre principal marché est l'Europe, il se peut que les voyageurs européens évitent les destinations asiatiques cette année, et pas seulement en Chine, mais aussi l’Asie du Sud-est en général, et choisissent plutôt de venir vers des endroits comme Maurice. La MTPA et les acteurs concernés peuvent saisir l’occasion pour promouvoir notre île comme un endroit sûr. Dans le passé, nous avons bénéficié, par exemple, lors des instabilités dans d'autres parties du monde, comme le printemps arabe en Tunisie et en Égypte.
L’économiste prévient qu’il est impératif que les autorités mauriciennes s'assurent que nous n'ayons pas une seule personne contaminée à Maurice, car cela pourrait envoyer une onde de choc au sein de nos principaux marchés touristiques. Air Mauritius aurait dû jouer la sécurité absolue en coupant les liaisons avec la Chine et Hongkong depuis le début pour éviter les risques de contamination.
Kevin Teeroovengadum est d’avis que les groupes hôteliers mauriciens opérant des hôtels aux Maldives souffriront, car les visiteurs chinois représentent une part importante de la clientèle touristique des Maldives. C'est pourquoi les groupes hôteliers mauriciens doivent avoir un portefeuille d'hôtels bien diversifié dans un certain nombre de pays comme les Seychelles, les Maldives, la Réunion, Madagascar, Zanzibar, etc., afin de se protéger contre les risques d'un pays sous-performant. Le groupe LUX* pourrait être le plus touché, car ce groupe a des hôtels aux Maldives et gère également un hôtel en Chine.
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