Suttyhudeo Tengur, président de l’APEC : «Les Mauriciens ont fait preuve de maturité dans leurs achats»

Les Mauriciens ont fait preuve d’une maturité remarquable dans leurs choix et leurs achats durant l’année 2019. C’est l’avis du président de l’Association pour la protection de l’environnement et des consommateurs, Suttyhudeo Tengur. Dans cet entretien, il parle aussi de l’évolution de la consommation et de l’économie en 2020.
S’il y a une compétition libre et saine, les prix vont jouer en faveur du consommateur intelligent
Quel est votre constat sur la mode de consommation des Mauriciens en 2019 ?
Il n’y a pas eu de folie furieuse par rapport aux dépenses familiales. J’estime que les Mauriciens ont bien géré leur budget et ont acheté utile et agréable. Il est vrai que cela concerne la fin de 2019. Cependant, durant cette même année, même si l’inflation est à la baisse, il ne faut pas oublier que les prix des denrées de base, comme le lait en poudre, ont pris l’ascenseur. C’est également le cas pour le riz basmati et les grains secs. Les prix des légumes ont fait le yo-yo à cause du climat et celui de la viande a aussi augmenté. Imaginez qu’un demi-kilo de viande de cerf était à Rs 175 durant la période de chasse (juin - septembre), alors que cette même viande se vend maintenant à Rs 200 le demi-kilo. Si les Mauriciens ont pu traverser cette période relativement difficile, c’était grâce aux choix judicieux qu’ils ont faits.
L’année 2019 a été aussi marquée par la hausse de la pension de vieillesse à Rs 9 000, l’augmentation du salaire minimal et la hausse de la compensation salariale. Quel sera l’impact de ces mesures sur les conditions de vie des Mauriciens ?
Toutes ces augmentations vont donner un nouvel élan à la consommation. Comme je le disais plus haut, ce ne sera pas la folie furieuse au niveau des achats. Les Mauriciens vont choisir de manière sophistiquée leurs produits de consommation courante, d’habillement et pour la qualité de vie. Quand on a suffisamment d’argent, avec une augmentation de presque Rs 3 000 pour la pension de vieillesse et autres pensions, l’augmentation du salaire minimal et le nouveau rapport du Pay Research Bureau plus la compensation salariale, cela fait beaucoup de liquidités sur le marché, d’où les risques d’une inflation galopante… De manière générale, et avec la tendance de consommation en cette fin d’année, je crois que le consommateur va établir ses dépenses prioritaires, avant de se faire plaisir et se payer des loisirs de luxe, comme s’offrir un séjour familial dans un hôtel ou de petites vacances à Rodrigues ou ailleurs.
Comment évolueront les prix des produits de consommation de base en 2020 ? Quelles sont les hausses majeures et les baisses des prix auxquelles on peut s’attendre ?
Je ne suis pas capable de lire dans une boule de cristal pour vous dire comment les prix vont évoluer. Je ne sais pas ce que le gros commerce a dans son sac. Cependant, une chose est certaine. Les commerçants vont également tirer le maximum de cette circulation monétaire à travers des augmentations des prix de leurs produits. À moins d’une cartellisation, s’il y a une compétition libre et saine, les prix vont jouer en faveur du consommateur intelligent. Néanmoins, tout ne sera pas offert sur un plateau d’argent, car ceux qui achètent dans des foires croient faire de bonnes affaires alors que ces mêmes produits dans des magasins risquent de se vendre moins cher. Si l’on croit acheter à bon marché dans les rues, on risque de se tromper énormément.
L’appréciation du dollar vis-à-vis de la roupie mauricienne se poursuit. Quelles sont les retombées sur notre économie ?
Écoutez : 70 % de toutes nos importations se font en dollar américain. Depuis plus d’une année, le dollar fluctue entre Rs 33 et Rs 35. C’est le dernier chiffre sur le site de la Banque de Maurice. Il y a eu donc une stabilisation de la parité entre le dollar et la roupie mauricienne. Sans être un économiste ou un expert en la matière, je pense qu’il n’y aura pas de retombées graves et que les prix vont fluctuer de manière à ne pas pénaliser outre mesure les consommateurs mauriciens. Je pense particulièrement au prix du carburant sur lequel repose toute l’économie mauricienne.
Qu’en est-il du Brexit ?
Jusqu’ici, on ne sait pas clairement ce que veut Boris Johnson, le nouveau Premier ministre britannique. Il a encore un peu de temps pour préparer sa sortie de l’Europe. Cependant, s’agissant de Maurice et de ses rapports avec la Grande-Bretagne, il nous faut nous concentrer davantage sur nos relations commerciales et économiques. Il y a bien entendu le problème de Chagos, mais cela relève de la diplomatie.
Vous avez à maintes reprises déploré le fait que « les banques font la pluie et le beau temps avec leur taux d’intérêt faible sur l’épargne, mais élevé sur l’emprunt ». Quelles sont vos suggestions ?
Si je vous dis que les banques mauriciennes sont pires que Shylock, un personnage imaginé par Shakespeare dans son fameux « Merchant of Venice », vous me diriez que c’est une blague ! Or, si vous faites le tour des banques, vous constaterez comment elles mettent la main dans les poches de leurs clients. Le taux d’intérêt sur l’épargne est ridicule par rapport au taux d’inflation. Donc, comment d’une part encourager les Mauriciens à épargner avec un taux d’intérêt si dérisoire, alors que si ce même Mauricien veut contracter un prêt bancaire, l’intérêt est dix fois supérieur. Il est devenu urgent de revoir la politique monétaire du pays sans oublier les impératifs du développement économique. Avec la masse monétaire en circulation après les récentes augmentations, il est urgent de dégager de nouvelles politiques monétaires qui tiennent compte de toutes ces nouvelles données. La Banque de Maurice doit assumer pleinement son rôle de veiller à ce que l’intérêt économique national ne profite pas uniquement qu’au gros capital, mais à l’ensemble de la population. Il faut « strike the right balance » entre le développement économique et le développement humain.
Vos conseils aux Mauriciens pour une meilleure mode de consommation en 2020 ?
Soyez prévoyant et judicieux dans vos choix. Élaborez votre budget mensuel en tenant compte de vos priorités familiales et ensuite sociales. Ne vous laissez pas enivrer par les promotions commerciales des supermarchés et surtout n’oubliez pas d’économiser quelques sous pour des jours difficiles.
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