Économie : quel bilan en 2019
2019 tire à sa fin. Comment ont évolué les principaux indicateurs du pays ? Qu’en est-il de la performance de divers secteurs d’activités ? État de lieux avec les économistes Pierre Dinan et Azad Jeetun.
Une croissance tirée par les travaux d’infrastructures
Le pays enregistrera une croissance de 3,8 % cette année, selon les estimations de Statistics Mauritius. Pour Pierre Dinan, la croissance de 2019 est « particulière ». « Cette année a été fortement marquée par les travaux d’infrastructures avec le Metro Express en tête. Ces travaux créent de l’activité et font tourner dans une certaine mesure l’économie. Ils créent des emplois, alimentent le commerce et font accroître les importations. Ce qui explique cette croissance, à laquelle il manque, toutefois, la qualité de durabilité. Comme disent les Anglais, c’est un ‘one-off’ », souligne Pierre Dinan.
Azad Jeetun affiche, lui aussi, des inquiétudes sur le taux actuel de la croissance. « Au lieu de prendre une courbe ascendante, la croissance est en train de plafonner. Nous n’arrivons pas à franchir le chiffre magique de 4 %. Or, nous devons viser une croissance de 5 %. Il nous faudra une politique cohérente pour passer ce cap de 4 % », recommande l’économiste Jeetun.
2016 | 2017 | 2018 | 2019 (prévision) | |
Taux de croissance | 3,8 % | 3,8 % | 3,8 % | 3,8 % |
Source : Statistics Mauritius. |
Quand l’inflation se porte comme un charme
S’il y a un indicateur qui ne suscite aucune inquiétude cette année, c’est bien celui de l’inflation. « Une bonne partie de l’inflation mauricienne provienne de l’extérieur du fait que notre pays est obligé, d’année en année, d’importer un très fort pourcentage de ses besoins. S’il y a l’inflation à l’étranger, forcément, nous en souffrons. Tel n’est pas le cas en ce moment en vue du ralentissement de l’économie mondiale », explique Pierre Dinan. Or, ajoute Azad Jeetun, si l’inflation n’est pas un problème cette année, il faut, toutefois, continuer à la gérer.
Inflation de 0,5 % en 2019
Années | Taux d’inflation attendu |
2019 | 0,5 % |
2020 | 1,5 % |
Source : Banque de Maurice. |
Ces secteurs pas bien lotis
2019 n’a pas porté chance à divers secteurs. Parmi, l’on retrouve l’industrie sucrière « dont on connaît les problèmes de compétitivité par rapport aux prix pratiqués à l’international », explique Pierre Dinan. Le tourisme, qui enregistrera une croissance zéro ou encore le secteur d’exportation ne se portent également pas mieux cette année.
« Il faudrait une politique ciblée et urgente pour ces deux secteurs qui font rentrer des devises dans le pays », recommande Azad Jeetun. Pierre Dinan y va également de son commentaire. « Il est très important que l’on cherche les causes du ralentissement dans le tourisme. Il ne s’agit pas seulement d’un besoin de diversifier les sources d’approvisionnement de tourisme, mais il faut aussi se pencher sur les besoins de diversification du produit touristique mauricien. Dit tout simplement, la mer bleue et le sable blanc, aussi agréables qu’ils soient, ne suffisent plus pour différencier notre pays par rapport à des concurrents qui ne sont pas loin de chez nous notamment les Seychelles, les Maldives », avance-t-il.
Le secteur manufacturier n’est pas mieux loti. « Ce secteur a été lancé, il y a quasiment 50 ans sur un modèle qui met à profit une main-d’œuvre abondante et à bon marché, afin de créer une activité industrielle. Or, actuellement, la main-d’œuvre n’est plus abondante et n’est plus bon marché. Il est à se demander si la planche de salut de ce secteur à Maurice n’est pas dans la robotique, dans l’innovation numérique et technologique. Sinon le secteur risque de se dépérir ou de s’exporter vers d’autres pays », prévient Pierre Dinan.
Le secteur financier transfrontalier est l’autre activité qui fait face à des défis. Ceci en raison de la modification du traité fiscal avec l’Inde et de l’attitude des pays de l’OCDE, opposée à l’optimisation fiscale pratiqués par des pays dont Maurice. D’où la recommandation de Pierre Dinan pour que le secteur trouve d’autres produits tels que la gestion des investissements et des avoirs, afin d’attirer de nouveaux clients.
L’évolution des principaux secteurs du pays
Secteurs | 2018 | 2019 (prévision) |
Secteur manufacturier | 0,7 % | 0,8 % |
Tourisme | 1 399 408 arrivées | 1 400 000 arrivées |
Industrie sucrière | 323 406 tonnes | 325 000 tonnes |
Secteur financier | 5,4 % | 5,2 % |
Source : Statistics Mauritius. |
Un chômage en baisse, mais…
Le taux de chômage est en baisse. Ce n’est pas sans raison. Outre les programmes visant à donner des formations et de l’emploi aux jeunes, certaines entreprises ont aussi créé de l’emploi. Mais, il y a un autre facteur à ne pas négliger. « Si le taux de chômage est faible, c’est parce que la demande d’emplois a baissé et continuera de baisser en raison de problèmes démographiques. Ce n’est pas la peine de se bomber les torses pour dire que le chômage est au plus bas. On devrait plutôt s’inquiéter du recours à la main d’œuvre étrangère, qui deviendra plus important », insiste Pierre Dinan.
Azad Jeetun, est lui aussi d’avis qu’il ne faut pas se réjouir trop vite de la baisse du taux de chômage. « Le pays fait face au problème de ‘mismatch’ entre l’offre et la demande. D'ailleurs, le phénomène de chômeurs gradués reste d’actualités », souligne-t-il. Selon lui, les autorités doivent poursuivre leurs efforts visant à intégrer les jeunes sur le marché de l’emploi.
Vers un taux de chômage de 6,8 %
2016 | 2017 | 2018 | 2019 (prévision) | |
Taux de chômage | 7,3 % | 7,1 % | 6,9 % | 6,8 % |
Source : Statistics Mauritius. |
Dette publique : clignotant à surveiller de très près
Pierre Dinan et Azad Jeetun sont sur la même longueur d’onde. Si le pays emprunte pour des projets viables, il n’y a aucun souci, même si la dette est élevée. « Si nous empruntons pour des gaspillages ou parce que le budget national est en déficit d’année en année, ce n’est certainement pas une gouvernance financière qui mérite des applaudissements », fait ressortir Pierre Dinan. « Certains disent », ajoute-t-il, « qu’une dette publique égale à 60 % du PIB, n’est pas une catastrophe. Ils le disent parce que certains pays comme le Japon et bien d’autres pays développés ont des dettes publiques qui sont plus importantes que leur PIB.
Cela est vrai, mais c’est nous prendre pour un pays développé alors que nous sommes un pays en développement. Nous avons encore beaucoup d’efforts à faire pour devenir un pays développé et nous n’avons pas les moyens de nous payer le luxe d’une dette publique élevée », insiste notre interlocuteur. Et Azad Jeetun de conclure : « Nous avons un niveau de dette assez élevé. Si la dette aide pour l’investissement qui apportera la croissance et l’épanouissement des entreprises, une dette élevée ne pose pas problème. Si nous dépensons que sur les infrastructures, il faudra générer des ressources pour rembourser la dette. »
Dette à 65 % du PIB
Juin 2019 (prévision révisée) | Juin 2020 (estimations) | Juin 2021 (estimations) | |
Montant de la dette publique | Rs 322,62 milliards | Rs 324,52 milliards | Rs 336,55 milliards |
% de la dette publique par rapport au Produit Intérieur Brut (PIB) | 65% | 61,6 % | 59,8 % |
Source : Ministère des Finances. |
Déficit commercial : pour des solutions urgentes
Le déficit commercial est un indicateur à surveiller de près, insistent nos interlocuteurs. « Il ne faudrait pas fermer les yeux, même si la balance de paiements est correcte pour le moment », explique Pierre Dinan. Et Azad Jeetun de conclure : « Nous avons un déficit commercial qui n’est pas soutenable dans le temps. D’où l’urgence de relancer le secteur manufacturier et le secteur de l’exportation. »
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