Vishal Ragoobur, docteur en économie : «La productivité et la compétitivité sont indispensables pour soutenir la croissance»

Tout le monde en parle : est-ce que l’économie mauricienne sera-t-elle en mesure de soutenir les engagements pris par l’Alliance Morisien durant la campagne électorale 2019 ? Le Dr Vishal Ragoobur, économiste, estime que ce défi peut être relevé, à condition de ré-allouer les fonds, mais en même temps, dit-il, « une hausse du déficit budgétaire est à prévoir ».
« Un des défis majeurs du gouvernement sera de soutenir une croissance plus élevée dans un contexte économique mondial incertain. »
Quels seront les défis majeurs auxquels sera confronté le nouveau gouvernement ?
Un des défis majeurs du gouvernement sera de soutenir une croissance plus élevée dans un contexte économique mondial incertain. L’objectif principal est de passer le cap des 4 % et par la suite de pouvoir générer une croissance forte au-delà de cette barre à moyen terme. Pour ce faire, la relance des secteurs traditionnels qui montrent des signes d'essoufflement est essentielle ainsi que la diversification de nos marchés et le développement de nouveaux moteurs de croissance. Face à la globalisation et la concurrence internationale, la clé de notre succès demeure une compétitivité accrue. Améliorer la qualité de nos institutions et infrastructures, l’adoption de la technologie et de l’innovation et l’investissement dans le capital humain, entre autres, sont des piliers importants d’une stratégie à long-terme pour propulser le développement économique et bien positionner notre économie pour l’avenir.
La dette publique vient d’être révisée à la hausse, avant même que ce gouvernement honore ses engagements pris en termes des diverses augmentations, dont celle de la pension universelle, le rehaussement du salaire minimum, les clients de la BAI, les Rs 1 000 aux fonctionnaires, sans oublier la compensation salariale annuelle. Est-ce que le gouvernement a-t-il les moyens de payer ?
Le gouvernement trouvera certainement les moyens d’honorer ses promesses. Vu que certains engagements n’ont pas été budgétisés, une ré-allocation de fonds sera nécessaire et fort probablement une hausse du déficit budgétaire est à prévoir. La tendance à la hausse de la dette publique se poursuivra encore pendant quelque temps en raison des investissements publics d’envergure et des augmentations des allocations sociales. Le gouvernement tablera sur une relance de la croissance économique et une recette fiscale plus élevée à l’avenir. Il faudra néanmoins compter sur un assainissement budgétaire par la suite pour graduellement faire baisser la dette.
Compte tenu des incertitudes du Brexit, de la guerre commerciale larvée entre la Chine et les USA et la révision à la baisse de la croissance mondiale, quels peuvent leurs impacts à Maurice ?
Maurice est une économie ouverte, complètement dépendante du contexte international. Notre économie présente une vulnérabilité importante face aux chocs extérieurs. Des incertitudes sur le plan international et un ralentissement de l’économie mondiale peuvent avoir un impact sur le commerce et l’investissement international et conséquemment sur nos exportations, le tourisme et même, notre secteur financier. Cela risquerait d’affaiblir la croissance et la situation de l’emploi. D’où l’importance d’un espace fiscal adéquat permettant de réagir à d’éventuels chocs externes.
Pour la quatrième fois, les chiffres des arrivées touristiques ont baissé, confirmant une tendance pour un des principaux piliers de notre économie.Est-ce qu’il faut s’en inquiéter ?
Il faut analyser les causes de cette baisse, notamment s’agit-il d’un phénomène conjoncturel ou plutôt structurel. Les arrivées touristiques de janvier à décembre 2019 ont baissé de 3,8 % comparé à la période correspondante en 2018. On note une baisse conséquente de presque 46 000 dans les arrivées de six destinations sur le top 10 de nos marchés touristiques. Des incertitudes internes (en Angleterre et l’Afrique du Sud, par exemple) pourraient être une explication plausible dans certains cas. Mais d’autre part, il semblerait que l’attractivité de Maurice auprès des touristes indiens et chinois s’estompe. On constate même un effondrement du marché asiatique, plus particulièrement la Chine avec une baisse de 37,4 %. La vigilance est certainement de mise, car comme l’indique le dernier rapport du Forum Economique Mondial sur la compétitivité de l’industrie du tourisme, la compétitivité de Maurice en termes de prix et aussi de la gestion de nos ressources naturelles et culturelles posent problème.
« Un juste équilibre entre l’économie et le social est tout à fait possible si on s’aligne sur une logique et un modèle de développement inclusif où le développement humain serait au centre et non pas tributaire de l’économie. »
Le gouvernement peut-il raisonnablement puiser dans les fonds de la Banque centrale, afin de financer sa dette ou encore ses prochains gros projets ?
Cela ne peut être une pratique courante. Le gouvernement peut exceptionnellement le faire pour financer sa dette. C’est plutôt une bonne gestion des finances publiques avec plus d’efficience et de prudence budgétaire. La réduction des gaspillages est à conseiller pour préserver notre pérennité et crédibilité financière.
Alors que les institutions de Bretton Woods préconisent le dégraissement dans les secteurs publics, des centaines de personnes sont régulièrement embauchées, durant des périodes électorales. Faut-il se plier aux suggestions du FMI ou de la Banque Mondiale ou y a-t-il une réelle nécessité de veiller à des recrutements productifs dans ce secteur ?
Le capital humain est la ressource la plus importante dans les secteurs publics. Des recrutements productifs pour pallier aux manques d’effectifs dans certains secteurs sont tout à fait nécessaires pour assurer un service continu et efficace. Il faut tout de même préconiser des réformes institutionnelles là où c’est nécessaire d’améliorer l’efficience, l’efficacité et la qualité du service public. Il est impératif, par ailleurs, de favoriser la bonne gouvernance, la méritocratie, la transparence et la redevabilité dans ce secteur.
Certains économistes affirment qu’un des facteurs qui permettra à Maurice d’affronter ces défis serait d’augmenter la productivité tout en maîtrisant les dépenses et les hausses salariales et de réduire les coûts de production. Comment arriver à un juste équilibre sans tomber dans des conflits sociaux ?
La productivité et la compétitivité sont effectivement indispensables pour soutenir la croissance économique. Les pays les plus avancés sont aussi les plus performants et productifs. Il faut savoir que la productivité dépend d’un ensemble de facteurs dont certains sont au niveau national tel que l’environnement des affaires, le cadre institutionnel, la qualité des infrastructures, la technologie et l’éducation entre autres. Au niveau organisationnel, le concept de ‘People, Process and Technology’ est vital. Cela inclut notamment le leadership et la capacité de gestion, la motivation, l’encadrement et la formation continue des employés, les procédés de travail, la recherche, la technologie et l’innovation.
Mais générer la productivité et la croissance pour créer de la richesse à tout prix ne peut être le seul objectif. Il faut absolument permettre le rehaussement du niveau de vie de la population dans son ensemble. Un juste équilibre entre l’économie et le social est tout à fait possible si on s’aligne sur une logique et un modèle de développement inclusif où le développement humain serait au centre et non pas tributaire de l’économie.
Faut-il, comme certains le suggèrent, revoir fondamentalement notre modèle économique de développement notamment en examinant scrupuleusement notre système de prestations sociales, les horaires de travail, la valorisation des salariés, selon leurs mérites ?
Un modèle de développement économique inclusif vise surtout à promouvoir davantage la dignité et les droits humains, l’équité en termes d’opportunité pour une participation active dans l’économie et la société et la résilience des populations face aux situations de vulnérabilité. Les considérations dans ce modèle sont donc plus élargies impliquant d’une part la productivité, la croissance économique, la création de la richesse et de l’emploi et, d’autre part, la distribution des revenus et de la richesse, les inégalités sociales et la pauvreté. Dans ce contexte, une protection sociale adéquate aux groupes vulnérables et la valorisation et de meilleures conditions de travail des salariés requièrent une attention spéciale. Il convient d’ajouter qu’en revoyant notre modèle économique, l’équité intergénérationnelle ne devrait pas être négligée. Cela veut dire favoriser un développement durable soucieux des impacts environnementaux et aussi limiter le fardeau de la dette sur les générations futures.
Notre pays, est-il prêt à s’embarquer dans de nouveaux secteurs tels que le numérique, la robotisation ?
Les nouvelles technologies offrent des possibilités en termes de croissance et de création d’emploi. Il nous faut très vite réunir les facteurs clés de réussite, tel que les cadres institutionnels et légaux, des structures et moyens financiers pour la recherche appliquée, les connaissances et savoir-faire, la main-d’œuvre spécialisée ainsi que les investisseurs potentiels dans ces nouveaux secteurs, pour nous permettre d’exploiter les opportunités qui se présenteront à nous.
Est-ce qu’il faut, comme le préconisent de plus en plus nos compatriotes, prendre en ligne de compte la dimension écologique, l’impact sur l’environnement, dans nos grands travaux d’infrastructures ?
Oui tout à fait. La dimension écologique ne peut être écartée, car les grands travaux d’infrastructures peuvent altérer et provoquer des dégâts considérables à notre environnement et donc affecter négativement notre cadre de vie. Les effets sur des secteurs d’activités telles que l’agriculture et le tourisme peuvent être importants. Mal planifiés, ils peuvent accentuer les dommages matériels et humains causés par des catastrophes naturelles, notamment les inondations.
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