Pierre Dinan : «Si la dette publique augmente, il faudra bien la rembourser» | Défi Économie Aller au contenu principal

Pierre Dinan : «Si la dette publique augmente, il faudra bien la rembourser»

Pierre Dinan

Maintenant que le nouveau gouvernement a été formé, les interrogations sur sa capacité à honorer ses engagements ne cessent de fuser. Les augmentations promises durant la campagne électorale seront-elles soutenables, vu les difficultés qu’éprouvaient déjà des secteurs-clés de l’économie ? L’économiste Pierre Dinan y répond en passant en revue la situation économique tant à Maurice qu’au niveau international.

« Maurice a une économie très ouverte. Nous devons pouvoir exporter vers nos divers partenaires essentiellement en Europe mais aussi aux États-Unis. Additionnellement nous recherchons des marchés proches de nous. »

Quels sont les défis qui attendent le nouveau gouvernement ?
Les défis sont d’ordre interne et externe. Externe parce que nous sommes confrontés à une situation économique internationale qui n’est guère brillante, étant marquée par la guerre commerciale larvée entre les États-Unis et la Chine. Lorsque deux géants se battent, ce sont les poussins qui subissent les coups. En clair, cette guerre risque de mettre un frein à l’ouverture des frontières décidée par l’Organisation mondiale du commerce en 1995 et qu’on avait applaudie. C’est lorsqu’il y a des coups de boutoir entre les deux grandes puissances que sont la Chine et les États-Unis qu’on observe des répercussions sur leurs économies.

D’ailleurs, celle de la Chine ne progresse pas comme elle devrait.

Par la même occasion, des pays qui vivent de leurs exportations vers la Chine peuvent souffrir. Les pays d’exportation ne donnent pas non plus le bon exemple quand ils remettent en cause la libéralisation de leurs frontières. Cela pourrait donner de mauvaises idées à d’autres pays. Maurice a une économie très ouverte. Nous devons pouvoir exporter vers nos divers partenaires essentiellement en Europe mais aussi aux États-Unis. Additionnellement nous recherchons des marchés proches de nous.

À cette guerre larvée entre la Chine et les États-Unis, il faut ajouter les incertitudes liées au Brexit, qui concernent nos intérêts commerciaux avec les pays liés à cette crise. On peut déjà se demander quel sera l’avenir de l’économie de la Grande-Bretagne. Sur tous ces marchés d’exportation, il y a des incertitudes. Cela se reflète dans le fait que le Fonds monétaire international ait revu à la baisse son estimation de la croissance économique mondiale pour 2019-20.

Qu’en est-il de nos défis internes ?
Nous connaissons déjà les défis qui se posent à quatre de nos principales industries : sucre, manufacture dans la zone franche, tourisme et secteur financier transfrontalier. Dans le secteur sucre, nous avons des difficultés à produire à un coût inférieur au prix du marché mondial. De plus, nous ne bénéficions plus des protections douanière et fiscale.

Pour ce qui est de la manufacture dans la zone franche, nous devrons reconnaître que ce secteur a été florissant dans les années 80, surtout grâce à la disposition d’une main-d’œuvre locale abondante et bon marché. Mais la situation n’est plus la même. D’abord la main-d’œuvre n’est plus abondante et ni bon marché, parce que l’économie mauricienne a décollé dans les années 80. Aujourd’hui, Maurice se trouve au deuxième niveau de l’échelle des pays à revenus élevés.

Avec ces facteurs, notre secteur manufacturier se retrouve forcément en difficulté, sans oublier une concurrence provenant des pays au bas de l’échelle, tels que Madagascar et certains pays d’Asie. Pour corser l’addition, nous connaissons un déficit des naissances et la population vieillit, entraînant un certain manque de main-d’œuvre. D’ailleurs, deux faits méritent d’être soulignés. Primo nous importons pas mal de main-d’œuvre pour des secteurs comme la boulange ou les usines. Secundo,  le taux de chômage a beaucoup baissé à Maurice et l’offre de main-d’œuvre n’est plus aussi élevée par rapport à la demande des employeurs.

Pourquoi le secteur du tourisme est-il en régression ?
Parce que nos attentes sur les marchés indiens et chinois n’ont pas été aussi porteuses, le secteur touristique mauricien demeurant très orienté vers l’Europe. Nous ne sommes pas les seuls à offrir des plages et une belle nature. Mais nous pouvons encore compter sur l’hospitalité mauricienne et notre diversité culturelle. Nous pouvons aussi vivifier nos musées par des expositions, par exemple. Il faut également rendre l’intérieur de l’île plus propre et attrayant, mais c’est une mission qu’il faut confier à des spécialistes du tourisme.

Vous faites aussi état de notre secteur financier transfrontalier…
Oui. C’est un secteur qui s’était construit sur l’optimisation fiscale, grâce aux accords avec l’Inde et d’autres pays. Mais cette optimisation fiscale est très critiquée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques ; NdlR). On sait que l’accord avec l’Inde a été modifié à nos dépens. D’où le besoin impérieux d’offrir d’autres types de services aux investisseurs transfrontaliers.

« Je suis favorable à la culture de cannabis à usage médical, à condition que l’Organisation mondiale de la santé valide les résultats des tests démontrant son efficacité. »

Et comment se porte notre secteur des TIC ?
C’est un grand secteur d’avenir qui a besoin  de jeunes véritablement formés, d’autant que nous pouvons nous appuyer sur notre bilinguisme. Il faut toutefois mettre l’accent sur la formation au numérique et à la robotique. Si nous parvenons à développer notre secteur numérique, nous pourrons raisonnablement vendre nos services aux étrangers. Pour ce qui est de la robotique, j’ai en tête l’invention du robot Diya par Ramesh Caussy, qui est d’origine mauricienne. Les robots se présentent comme un soutien potentiel à nos seniors qui éprouvent des difficultés à se mouvoir au quotidien.

Puis en raison de la pénurie de main-d’œuvre, il faudra sans doute se tourner vers les robots. Mais je me demande si on a suffisamment d’ouvertures et de possibilités en place pour que les jeunes, à la fin du Nine-Year Schooling, soient dirigés vers des secteurs dont on a grand besoin. Là je pense au numérique, à la robotique et à tout ce qui est d’ordre du génie mais aussi aux secteurs électrique et plomberie. Il faut absolument des ouvertures pour des jeunes qui ont des aptitudes dans ces domaines qui passent par une véritable révolution  technologique, notamment dans celui des TIC, plutôt que de faire appel aux étrangers.

Face aux difficultés dans le secteur sucre, certains proposent la reconversion des terres, d’une part, à des fins d’autosuffisance alimentaire, et d’autre part, pour la culture du cannabis à usage thérapeutique…
Ces deux propositions méritent qu’on s’y attarde. L’idée de l’autosuffisance alimentaire, appuyée par des techniques agriculturales modernes, peut aider à développer des produits tropicaux niches, dont les légumes, destinés à notre population, aux touristes et aux marchés européens. Il faut tout simplement dépasser cette image stéréotypée du paysan labourant son jardin pour la remplacer par celle du jeune et fringant cultivateur manipulant son tracteur et utilisant les technologies nouvelles pour accroître la productivité de ses champs.

En ce qui concerne la culture de cannabis à usage médical, j’y suis favorable, à condition que l’Organisation mondiale de la santé valide les résultats des tests démontrant son efficacité. À ce moment-là seulement il sera possible d’envisager un secteur d’activités dédié à la fabrication thérapeutique issue du cannabis. Mais il faudrait aussi mettre sur pied un organisme de contrôle rigoureux, avec un arsenal de lois et de réglementations adéquates et efficaces par rapport à la production et à la destination des produits. Si le gouvernement s’embarque dans un tel projet, il faudra s’inspirer des expériences qui ont abouti ailleurs. À éviter absolument : que le cannabis ainsi produit aille alimenter le marché de la drogue.

La situation économique est-elle sombre ? Comment le gouvernement compte-t-il financer les promesses d’augmentation annoncées durant la campagne électorale ?
Il ne faut quand même pas jouer les Cassandre et encore moins se cacher la tête dans les nuages. Les fonds destinés à ce financement devront être puisés du Consolidated Fund, le fonds géré par le Comptable-Général, qui reçoit toutes les recettes de l’État et à partir duquel sont effectués les différents paiements, dont les  salaires des fonctionnaires, les aides à la Sécurité sociale, les diverses subventions et les aides aux collectivités locales, entre autres.

Depuis des années, les recettes sont inférieures aux dépenses et le déficit budgétaire augmentera pour l’année 2019-20, de même que la dette publique. Qui financera cette dette ? Le gouvernement peut emprunter sur le marché local, à travers l’émission de Treasury Bills et de Government Bonds. Il peut également emprunter de l’étranger, ce qui n’est guère recommandé à cause des remboursements en euros ou en dollars, vu les risques de dépréciation de la roupie.

Aussi sera-t-il obligé d’emprunter localement. Puisera-t-il dans les réserves de la Banque centrale, dont une des fonctions principales est de contrôler la valeur de la roupie par rapport aux autres devises ? On sait que les réserves de la Banque centrale sont comme son arsenal de guerre pour protéger la valeur de la roupie en cas de nécessité. Une chose est sûre : si la dette publique augmente, il faudra bien la rembourser. Avis donc aux générations montantes !  

La dette — comme toute dette —  fait peur. Faut-il s’en inquiéter ?
Tout dépend de l’usage qu’on fait des emprunts. S’ils sont investis dans la construction et la modernisation des infrastructures, on se passera de toute critique. Personnellement, j’applaudirai si on lance une étude sur notre immense  espace marin. Mais si on emprunte pour augmenter les pensions, on peut se poser des questions. Une augmentation est peut-être nécessaire pour des personnes qui ont très peu de ressources, mais pas pour tous les groupes.

C’est la raison pour laquelle j’ai récemment proposé que cette catégorie de retraités soit encouragée à remettre le montant de leur pension universelle à des organisations non gouvernementales reconnues par l’État, moyennant un abattement fiscal. Cela devrait alors réduire la pression de la demande d’aide à la Sécurité Sociale et à  d’autres institutions de l’État.

Quelle suggestion feriez-vous au nouveau gouvernement ?
D’abord qu’il s’assure que la croissance soit durable et de qualité, la quantité important moins. L’année 2019 a été marquée par de gros travaux d’infrastructures qui ont sans aucun doute boosté la croissance économique. Aujourd’hui il nous faut une croissance basée sur les activités de nos principaux secteurs d’exportation.  Il faut souhaiter que ce gouvernement se mette sérieusement à étudier les moyens pour développer nos ressources marines. Le Premier ministre y a récemment fait allusion dans un discours. J’espère qu’il joindra le geste à la parole.

Ensuite, je souhaite que la croissance bénéficie à toute la population et qu’il y ait un réel effort pour ceux au bas de l’échelle. Je pense notamment aux habitants des « cités », aux pêcheurs, à la petite bourgeoisie… bref, à ceux qui ont des difficultés à joindre les deux bouts.