Métiers : Antoine Yvon bat le fer quand il est chaud | Défi Économie Aller au contenu principal

Métiers : Antoine Yvon bat le fer quand il est chaud

Antoine Yvon

Le métier de forgeron disparaît du paysage mauricien. Si les jeunes ont d’autres ambitions, il y a toujours ceux qui croient dans l’avenir de ce métier, le pratiquant avec la même fougue. Rencontre avec Antoine Yvon.

À chaque village, sa forge et ses clients toujours pressés. À pareille époque, l’industrie sucrière domine l’économie. Les régions rurales font la part belle à l’agriculture. En ce temps-là, le Mauricien, lui, préfère la science et les techniques des ouvriers de la localité. Pourquoi acheter du neuf quand il s’agit de remplacer une pièce défectueuse ? Le forgeron est là. C’était il y a 30 ans.

Aujourd’hui, rencontrer un forgeron dans un environnement qui a conservé son cachet d’antan est une bonne surprise. Ainsi, en sillonnant la circonscription Flacq/Bon-Accueil (9) en marge des élections générales du 7 novembre, nous arrivons au fin fond du village de Palmar, dans la région Est. Ce village a son forgeron, Antoine Yvon, 57 ans, marié et père d’une fille, le dernier dans une lignée d’ouvriers dédiés à la transformation du fer, ce de manière rudimentaire.

Sa forge est un espace ouvert où traînent marteaux, ciseaux et du fer de toutes les formes et de toutes les tailles. Le sol est noirci d’une fine couche de cendres, cette poussière issue du fourneau où brûle le bois, avec le compresseur pompant l’air par le biais d’un tuyau flexible. Sur un pan de tôle siège une pendule ronde et blanche où le temps semble s’être figé : 3 h 15.

C’est en ce même endroit, sous l’œil de son père, que le jeune Antoine Yvon démarre son apprentissage. Il apprend d’abord à manier le marteau, ensuite à émuler le paternel, et développer une agilité avec les outils pour que le client soit satisfait de sa nouvelle serpe ou de son antivol en fer forgé

 « Le premier outil que j’ai fabriqué était une tenaille», dit-il dans un entretien réalisé en début d’après-midi du dimanche 20 octobre, brandissant ledit outil faisant presque deux pieds. « Je travaille sur la qualité et non pas la quantité. C’est plus solide. Je fabrique des outils pour de vrais ouvriers. »

À l’époque où la canne est reine, cette forge fabrique des serpes en grande quantité surtout en période de coupe. L’arrivée de nouveaux outils tranchants, comme la ‘panga’, n’est point la fin de son métier. Il diversifie dans la transformation de nouveaux outils comme les ciseaux pour les tailleurs de pierre ou encore des lances pour les pêcheurs. Sa clientèle a certes évolué. Elle reste néanmoins dans l’urgence. Or, Antoine Yvon s’y est habitué.

Pourquoi n’a-t-il pas cherché un emploi dans une entreprise spécialisée, voire dans l’industrie sucrière ?  Il dit avoir tenté le coup. En 1984, on lui propose un poste comme d’apprenti. Mais Antoine Yvon veut être considéré comme un ouvrier à part entière. Aucun compromis. Il poursuit son cheminement. Seul.

Ce métier qu’Antoine Yvon raconte avec tant de passion et d’émotions est en voie de disparition. Parce que l’effort physique demandé est considérable et continu. Être au fourneau, à moins d’un pied des flammes intenses et oranges, chauffer le fer jusqu’à ce qu’il vire au rouge, le ramener sur l’enclume, lui donner une forme à coups de marteau, répéter le processus tout au long de la journée jusqu’à la nuit tombée, tout cela fait fuir la relève. Le forgeron le concède volontiers. Et nous ne pouvons le blâmer pour ne pas avoir partagé ses connaissances et techniques.

« Les jeunes ne sont pas intéressés par ce travail. Je les encourage à venir. Je leur donne de l’argent. Certains demandent s’il y a des commandes. Je leur demande d’apprendre, si ce n’est que pour cerner les rouages de ce métier. Ils me disent qu’ils reviendront », déplore Antoine Yvon. « Ils se saliront les mains ! »