Jacques de Navacelle : «La classe politique a beaucoup vieilli et on ne voit toujours pas la relève» | Défi Économie Aller au contenu principal

Jacques de Navacelle : «La classe politique a beaucoup vieilli et on ne voit toujours pas la relève»

Jacques de Navacelle
Jacques de Navacelle, consultant en entreprises et ex-directeur de Transparency Mauritius.

Observateur de la scène politique mauricienne, consultant en entreprises et ex-directeur de Transparency Mauritius entre autres, Jacques de Navacelle dresse le portrait instantané d’une île Maurice à la veille des législatives de 2019.  Le constat se veut lucide, jamais négatif et avec des engagements attendus de la part des jeunes pour peu que la classe politique vieillissante cesse de s’accrocher au pouvoir.

Malheureusement les grandes formations politiques n'ont pas de véritable programme.

Avec ces élections législatives au terme du mandat de ce gouvernement, et comme les échéances précédentes, Maurice est-il un bon élève de la démocratie parlementaire ?
C'est très rassurant de constater que le système démocratique à Maurice fonctionne bien en ce qui concerne le processus électoral. Contrairement à beaucoup de pays de la région, il y a des élections libres, la liberté de faire campagne et de promouvoir ses idées est présente.

Jusqu'à présent, le déroulement des élections s'est bien passé et on n'a jamais entendu parler de fraude électorale. Cela fait de Maurice un exemple.

Il faut être vigilant, car on constate parfois des tentatives du pouvoir de bloquer la liberté de la presse.

Vous suivez les grandes lignes de l’actualité de Maurice. Qu’attendez-vous des engagements de grandes formations ?
Les campagnes électorales à Maurice ne donnent malheureusement pas beaucoup d'informations sur la vision à long terme et les stratégies des partis candidats au pouvoir.

Ce que le citoyen attend ce sont des décisions importantes  pour assurer un avenir meilleur aux générations futures. De telles décisions doivent être bâties à partir d'une analyse économique et sociale sérieuse et professionnelle avec l'aide d'experts indépendants.

Les principaux sujets à mon avis sont l'endettement du pays, la capacité des fonds de pension à payer les futures pensions, le niveau du chômage, la reconstruction du système de l'éducation qui est complètement dépassé, l'autosuffisance alimentaire, le développement du secteur des petites entreprises et l'environnement.

Il faut aussi remettre sur pied la fonction publique qui aurait besoin de hauts fonctionnaires formés et compétents pour exercer en totale indépendance des leaders politiques. À plusieurs reprises on a parlé de mettre sur pied une école de formation pour les fonctionnaires, mais on attend toujours.

À l’ère de la pensée unique dite de ‘marché libre’, comment à Maurice, un parti politique peut-il faire la différence ?
Malheureusement les grandes formations politiques n'ont pas de véritable programme. Ces formations manquent d'idées et ont tendance à promettre des mesures un peu désordonnées pour essayer de plaire à tous. Donc, à ce stade, je ne m'attends malheureusement pas à grand-chose.

Est-ce que le concept de classe sociale est-il encore présente dans les débats politiques ? Quelles sont aujourd’hui les références socioculturelles et économiques qui interpellent les individus ?
Je constate que comme dans beaucoup de pays l'écart entre les riches et les pauvres a tendance à augmenter. Il faut absolument corriger cela.

Nous devons former des futurs adultes habitués à réfléchir, à exercer leur esprit critique, à créer  et être capables de prendre des responsabilités.

Durant ces dernières années, les débats ont souvent tourné autour de la nécessite de rajeunir  la classe politique. Or, on assiste à la présence des mêmes noms – ceux des familles - à la tête des partis politiques à Maurice. Où est le problème selon vous ?
C'est vraiment très triste de voir que la classe politique a beaucoup vieilli et on ne voit toujours pas la relève. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent que ça change, mais les leaders politiques sont vieux et s'accrochent. Alors qu'ils devraient comprendre qu'ils ne sont plus capables de bâtir l'île Maurice de demain.

Un autre obstacle au progrès du pays est cette mauvaise habitude des partis politiques de faire alliance avant les élections pour augmenter les chances de gagner. Des partis ennemis pendant une législature deviennent amis la législature suivante et inversement. Le résultat c'est que ces alliances ne peuvent pas avoir de programme  et que la population ne peut pas leur faire confiance.

Il vaudrait beaucoup mieux que chaque parti aille seul aux élections et qu’ensuite des alliances se mettent en place pour gouverner si aucun parti n'a obtenu la majorité.

Ce serait beaucoup plus clair, car chaque parti serait obligé d'avoir un programme sérieux à partir duquel les électeurs se décideraient. Aujourd'hui ce sont des compétitions entre des personnes ou des groupes de personnes sans véritable programme afin d'essayer d'attirer le maximum de votants en promettant toutes sortes d'avantages que souvent on ne pourra pas délivrer.

Le MSM à mon avis a aujourd'hui un gros avantage, car son leader est beaucoup plus jeune que les autres. Cela explique peut-être certains ralliements récents.

En ce moment même, l’enjeu se porte sur l’augmentation de la pension de retraite universelle. Maurice a-t-il la capacité de payer cette facture ?
Je pense que cette augmentation de la retraite annoncée par le Premier ministre est une bonne chose pour réduire la misère de certains. Malheureusement, aucune information n'a été donnée de la façon dont elle sera financée. C'est une question très importante quand on connait la situation financière du pays, son déficit important et sa dette qui s'accroit.

Vous avez été à la présidence de Transparency Mauritius. À ce titre, que pensez-vous des liens financiers du secteur privé avec les partis politiques ?
Cela fait longtemps que Transparency demande une règlementation du financement des partis politiques.

Malheureusement les politiciens  ne veulent pas changer la situation actuelle qui leur permet de financer leurs campagnes sans véritable contrôle. Il suffirait qu'on oblige les partis politiques à publier leurs comptes pour régler le problème !

À ce jour, les partis politiques sont financés d'une manière opaque, ce qui permet à de l'argent sale de contribuer aux campagnes électorales.

Les entreprises privées contribuent aussi volontairement et indiquent les sommes concernées dans leurs comptes annuels.

Il est très triste que le projet de loi sur le financement de la vie politique n'ait pas pu être voté.

Même si ce projet n'était pas parfait, il aurait quand  même été dans l'intérêt de la démocratie de l'accepter quitte à l'améliorer par la suite.

Est-ce que ce qu’on désigne comme la politique ethnique est un facteur garantissant véritablement la stabilité religieuse/communautaire de Maurice ?
La déclaration ethnique est une anomalie dans notre monde moderne. Elle est liée au système du Best Loser, qui avait pour but à l'origine d'éviter la marginalisation de certaines communautés. Aujourd'hui, cela ne fonctionne plus.

Soit on maintient le système, et on procède à un recensement, car le dernier en date est des années 70. Soit on le supprime et on fait confiance à la population mauricienne.

Là aussi, certains politiciens ne veulent pas que ça change. Car ils sont habitués à un système qui leur convient. Il y a peut-être un problème de génération. Il faudrait demander aux jeunes ce qu'ils en pensent, car finalement ce sont eux qui sont concernés !

Quels sont les principaux défis pour Maurice dans les prochaines années ?
Trouver des sources de revenus nouvelles, en dehors des secteurs traditionnels. Cela a déjà commencé dans le secteur financier. Reconstruire le système éducatif, qui n'est plus adapté au monde moderne. Nous devons former de futurs adultes habitués à réfléchir, à exercer leur esprit critique, à créer  et être capables de prendre des responsabilités. Le système éducatif public est insuffisant et cela provoque l'existence des leçons particulières qui sont un crime contre la jeunesse et qui pénalise les pauvres.

Comment expliquer que le facteur environnemental/écologie reste le grand absent dans les programmes des grands partis de Maurice ?
Les jeunes à Maurice sont très mobilisés pour l'environnement. Les partis dirigés par de vieux politiciens qui ne comprennent pas ce sujet. Je souhaite que les jeunes puissent prendre la relève de cette classe politique et imposer le sujet de l'environnement.

Les bonnes notes attribuées à Maurice par des agences internationales – Mo Ibrahim, entre autres – sont-elles de nature à attirer les investisseurs étrangers ?
Tout est relatif. Effectivement, Maurice est très bien perçu par ces agences. En revanche, il ya deux sujets auxquels nous devons être très attentifs : le classement de Maurice dans les paradis fiscaux et la corruption qui commence à être connue à l'extérieur.

Faut-il s’inquiéter des ‘informations’ - qui paraissent plus ou moins régulièrement -, et qui ternissent l’image de notre secteur financier, obligeant le gouvernement mauricien à s’expliquer ?
Oui, car nous sommes un petit pays et il n'est pas aussi facile de se faire entendre pour répondre aux accusations qui sont faites périodiquement. Nous devons aussi être très vigilants pour ne pas donner prise à la critique comme cela a pu se passer avec certains investisseurs africains malhonnêtes.

Comment décririez-vous la situation économique internationale, et ses conséquences sur Maurice, avec les incertitudes liées au Brexit, les conséquences de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, notamment ?
Je ne suis pas très inquiet pour Maurice, car nous sommes un petit pays. Le montant de nos ventes à l'exportation est très faible dans les grands marchés et par de bonnes méthodes commerciales nous pouvons augmenter nos ventes considérablement, sans que cela pose un problème de concurrence sur ces marchés. Nous pouvons commercer avec tout le monde.

Le gouvernement mauricien et certains hommes d’affaires mauriciens font souvent valoir des perspectives de commerce en Afrique, mais sans qu’il y ait véritablement d’actions concrètes en ce sens. Est-ce qu’il existe encore des obstacles à des partenariats en Afrique ?
Faire des affaires en Afrique n'est pas facile. Les infrastructures  sont souvent défaillantes, les réseaux de décision ne sont pas toujours faciles à identifier. Je crois qu'il faut passer beaucoup de temps sur place pour étudier la situation avant de se lancer dans les affaires. Les Mauriciens qui ont fait de mauvaises affaires en Afrique ont tendance à se décourager, alors qu'il faudrait considérer les échecs comme des leçons apprises pour s'y prendre mieux la prochaine fois.

Maurice  reste-t-il un exemple de tolérance intercommunautaire, de mieux-vivre, mis en exergue par le pape, qui a aussi décrié les injustices sociales nées d’un développement matérialiste  exclusif ?
À l'extérieur, Maurice est perçu comme un modèle de cohabitation entre différentes communautés. Quand nous voyons l'atmosphère créée par les jeux des îles ou la visite du pape, on comprend que le peuple mauricien aime vivre ensemble, malgré les différences. Bien sûr il y a toujours des racistes dans toutes les communautés, mais je pense qu'ils sont minoritaires. Ce qui est dommage c'est que les élections sont souvent l'occasion pour les politiciens de dresser les communautés les unes contre les autres pour être élus. Ça, c'est vraiment criminel.