Pension de vieillesse : quand la politique fait monter les enchères
La pension de vieillesse refait débat après que le Premier ministre ait annoncé, mardi dernier, qu’il compte la doubler au cours de son prochain mandat, s’il est réélu. Alors que la mesure a été bien accueillie par nos aînés, des économistes divergent sur le sujet. Mais voilà que la pension pourrait être le thème principal de la campagne électorale.
La pension pourrait être le thème principal de la campagne électorale.
Maurice aspire à devenir une économie à hauts revenus dans les années à venir. Si cela se réalise, alors le pays disposera de moyens suffisants pour augmenter la pension de vieillesse à l’avenir. En attendant, depuis l’avènement du salaire minimal, il y a un fort courant de pensée qui estime que la pension doit être alignée sur le salaire minimal. Ainsi, en 2020, le gouvernement du jour serait sous pression pour rehausser la pension à au moins Rs 8 500. Or, depuis 2017, certains économistes, à l’instar d’Arvind Nilmadhub, clamaient qu’il est possible pour l’économie de soutenir une pension mensuelle de Rs 8 000 ! Mais dans le budget 2019-2020, le Premier ministre et ministre des Finances avait accordé une augmentation de Rs 500, payable à partir de janvier 2020.
Ensuite, le Premier ministre annonça la pension à Rs 13 500 au cours de son prochain mandat, sans donner plus de détails. Alors que les bénéficiaires pensent toucher ce montant à partir de l’année prochaine, des observateurs estiment que le montant de Rs 13 500 sera atteint vers 2024, si on prend à la base une pension de Rs 9 000 en 2020 et des augmentations graduelles, lors de chaque présentation du Budget annuel pendant les cinq prochaines années.
À noter que le PIB par tête d’habitant a augmenté de Rs 300 000, en 2014 à Rs 401 200 en 2018. Mais il faut souligner qu’en octobre 2014, le dollar était à Rs 30, alors qu’aujourd’hui le taux de change frôle les
Rs 37. En termes réels, notre ‘per capita income’ stagne.
Le coût social
Le coût de la pension de vieillesse s’élevait à Rs 16,8 milliards pour la période 2017-2018, ce qui était déjà une hausse de presque 10 % par rapport à l’année financière 2016-2017. Le nombre de bénéficiaires était de 215 334. Parmi les autres bénéficiaires, on comptait 19 282 veuves et 32 075 personnes en situation d’handicap. À noter que le budget pour le social (comprenant pensions et aides sociales, etc.), s’élevait à Rs 34,8 milliards pour l’année 2016-2017, ce qui représentait 28,2 % de dépenses totales et correspondant à 7,8 % du PIB.
Tendance mondiale
Selon l’OCDE, les trois pays qui ont des pensions des plus généreuses sont les Pays-Bas, la Turquie et la Croatie. En effet, la pension néerlandaise correspond à 101 % du salaire moyen, celle de la Turquie 102 % et en Croatie, c’est à 129 %. Par contre, au Royaume-Uni, la pension de vieillesse est estimée à seulement 29 % du salaire moyen.Le Royaume-Uni repoussera l’âge de la retraite à 66 ans, en octobre 2020 et 67 ans, en 2028.
Projection de personnes âgées à Maurice, 2021-2056
Groupe d'âge | 2021 | 2026 | 2031 | 2036 | 2041 | 2046 | 2056 |
60-64 | 78 141 | 88 150 | 78 398 | 76 668 | 90 214 | 80 346 | 84 793 |
65-69 | 62 665 | 71 737 | 81 255 | 72 506 | 71 105 | 83 823 | 74 788 |
70-74 | 47 567 | 54 483 | 62 519 | 70 953 | 63 414 | 62 274 | 65 559 |
75-79 | 24 615 | 38 049 | 43 664 | 50 074 | 56 811 | 50 751 | 58 763 |
80+ | 26 055 | 30 539 | 42 216 | 51 984 | 61 368 | 70 791 | 70 615 |
Total | 239 043 | 282 908 | 308 052 | 322 285 | 342 912 | 347 985 | 354 518 |
Source : Statistics Mauritius |
Effet multiplicateur ?
Une augmentation de la pension aura certes un effet multiplicateur sur l’économie, car les personnes à la retraite dépenseront plus que d’habitude. Mais Pierre Dinan dit que cela ne sera pas nécessairement bénéfique à l’économie. « Les personnes âgées ont tendance à épargner moins que les autres. Si elles consomment plus, c’est la balance commerciale qui est affectée. Il faut toujours regarder le côté international. »
Frankie Tang : « Une meilleure croissance peut soutenir la pension »
L’économiste Frankie Tang dit que toute mesure qui peut améliorer la vie des gens, surtout nos ainés, est la bienvenue. Les personnes à la retraite ont travaillé toute leur vie et elles méritent une pension suffisamment décente pour bien vivre. « Si le Premier ministre a annoncé une augmentation substantielle, il doit sûrement avoir déjà fait ses calculs et sait comment la financer », dit l’économiste.
Toutefois, il met en garde contre l’idée d’emprunter davantage pour financer le paiement de la pension. « Il faut plutôt voir comment booster la croissance pour soutenir les dépenses additionnelles » L’économiste ajoute qu’il ne faut pas oublier que le paiement de la pension est aussi une injection dans l’économie qui aura son effet multiplicateur.
Pierre Dinan : « Le salut peut venir de la mer »
Pierre Dinan, économiste, explique que l’objectif de la pension de vieillesse est de permettre à nos ainés d’avoir un bon niveau de vie. Cela fait partie de l’aide sociale qui est à son tour financée par l’économie.
« L’aide sociale est financée par les revenus générés par l’économie. La source doit être intérieure et non pas extérieure », précise l’économiste. « Parfois, il arrive que lorsque les pensions augmentent, le déficit budgétaire s’alourdit et le gouvernement emprunte sur le marché financier local. »
Mais on ne peut emprunter éternellement pour financer les allocations sociales. Dans un budget annuel, il y a toujours une part qui revient au social. L’économiste soutient que nos principaux secteurs, comme l’industrie sucrière, le manufacturier et le tourisme font déjà face à des gros défis, donc on ne peut compter sur ces secteurs pour générer plus de revenus pour soutenir des dépenses additionnelles. Mais où trouver les moyens de financement ? Pour Pierre Dinan, le salut viendra de la mer.
« Il faut absolument développer nos ressources marines. C’est un de meilleurs moyens de monter le palier. Bien sûr, vous allez me dire que nous n’avons pas les moyens, car c’est coûteux, mais on peut faire appel aux pays amis », suggère Pierre Dinan.
Selon l’économiste, l’industrie maritime peut améliorer le sort de tout le monde et pas seulement les pensionnés. Mais pour y arriver, il faut faire appel à des consultants sérieux et compétents. Par ailleurs, Pierre Dinan pense qu’il faut envisager le ciblage, mais comme nos politiciens n’ont pas le courage, il propose qu’on invite les pensionnés imposables à remettre leurs pensions aux ONG et en retour, ils pourront être exemptés du fisc. « Ce sera un alternatif au ciblage », conclut-il.
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