De l’Uttar Pradesh à Beau-Bassin : le pari réussi de Naeem Khan, machiniste des années 80 | Défi Économie Aller au contenu principal

De l’Uttar Pradesh à Beau-Bassin : le pari réussi de Naeem Khan, machiniste des années 80

Mohammed Naeem Khan
Grâce à la maîtrise de son métier, Mohammed Naeem Khan n’a eu aucune peine à se diversifier dans les vêtements européens.

C’est un étranger qui a adopté l’île Maurice et qui croit en sa bonne étoile. Originaire de l’Inde, tailleur de formation, Mohammed Naeem Khan, 47 ans, a quitté son domicile, qui lui servait d’atelier de confection, pour emménager dans un local plus spacieux à Beau-Bassin depuis 2017. Véritable coup de poker, mais aussi visionnaire, car l’endroit est idéalement situé, à une poignée de minutes de l’arrêt du métro, à Barkly.

Dans l’Uttar Pradesh, où je suis né, je connaissais un peu le travail. Mais c’est à Maurice que je me suis perfectionné.

« Quant j’ai informé mes proches que j’allais louer ce local, ils m'ont dit que c’était trop risqué », se souvient encore Mohammed, toujours bien coiffé, la chemise et le pantalon collés au corps, les lunettes coincées entre le nez et dans un délicieux accent indien. Six mois après l’ouverture de l’atelier, il reçoit la visite des cambrioleurs qui emportent des objets électroniques. La police lui conseille d’installer des appareils de surveillance. Il le fait. Depuis, il est rassuré. « Parfois, des individus louches viennent me demander de l’argent, je leur donne », explique-t-il.

Parmi les ouvriers, les Bangladais comptent beaucoup à cause de leur savoir-faire.
Parmi les ouvriers, les Bangladais comptent beaucoup à cause de leur savoir-faire.
Les Mauriciennes sont présentes à toutes les tâches dans l’atelier.
Les Mauriciennes sont présentes à toutes les tâches dans l’atelier.

L’atelier, qui donne sur la grande rue, ressemble à une ruche : six Bangladais et Mauriciennes se côtoient. Partout, au plafond, sur les tables, sur les penderies, les vêtements orientaux et européens occupent l’espace.

Des clientes, plutôt jeunes, se succèdent. « Elles apportent les tissus, parfois des modèles qu’elles ont vus sur le web ou dans un magazine et on prend les mesures. La confection ne dépasse jamais dix jours », assure-t-il. Pour lui, la relation clientèle tient en deux mots : qualité du travail et respect du délai de la livraison. Depuis qu’il est arrivé à Maurice à l’âge de 18 ans, il a fini par comprendre le petit monde des ateliers de confection, surtout leurs travers, après quatre années et demie de travail en usine.

Marié à une mauricienne

À Cottage où il prend de l’emploi, il est affecté à toutes les tâches, si bien que la confection n’aura aucun secret pour lui. « Dans l’Uttar Pradesh, où je suis né, je connaissais un peu le travail. Mais c’est à Maurice que je me suis perfectionné », confie-t-il. Après quelques années, il se résolut à se mettre à son compte. Marié à une Mauricienne qu'il a rencontrée à l’usine, il s’installe à Plaisance, Rose-Hill et avec leurs économies et un travail à temps partiel dans une usine de textile de la localité, il achète des machines à coudre industrielles.

« L’usine, qui appartenait à un Indien, n’a pas bien marché. Il a alors ouvert un magasin à la Route Royale à Rose-Hill et je livrais les vêtements », raconte-t-il. Durant 22 années, c’est son domicile qui lui sert d’atelier et malgré l’étroitesse de l’espace, les clients se bousculent au portillon. « J’avais acquis une bonne réputation et c’est le bouche-à-oreille qui a fait le reste », sourit-il. Mais, en fin observateur de la société mauricienne et grâce à sa compréhension de la langue créole, il décide  d'entreprendre la confection des vêtements européens.

Maîtrise de son métier

« Je m’étais déjà rendu compte que les Mauriciens, hommes et femmes, adorent les vêtements indiens et européens. Je ne pouvais pas passer à côté de ce marché », précise-t-il. Grâce à la maîtrise de son métier, il n’a aucune peine à se diversifier dans les vêtements européens, élargissant ainsi son offre.

« J’ai toujours fait de sorte de satisfaire le client, travaillant parfois nuit et jour pour livrer une commande en 24 heures et sans jamais bâcler le travail. Mais je maintiens les tarifs, qui sont certes un peu plus chers, parce que j’ai des frais fixes, qui sont les salaires, l’électricité et le loyer. Mais le client mauricien paye pour le travail bien fait et la livraison à temps », se réjouit-il. De plus, une occasion en or s'est présentée et il a pu emménager dans un local plus spacieux et visible, à la route Colonel Maingard à Beau-Bassin. « C’est une de mes clientes qui avait longtemps hésité à louer le local, je lui ai convaincue que j’allais m’en occuper sans lui causer de problème. C’est comme ça que je suis venu à Beau-Bassin », dit-il. À quelques encablures de la gare du métro de Barkly, il ne pouvait rêver de meilleur endroit. « Je suis arrivé au bon endroit et au bon moment », se réjouit-il avant de renchérir :« Et mes clients sont restés fidèles. » Mais pour autant, il ne dort pas sur sa réputation.

L’online shopping

La menace la plus sérieuse depuis que les produits chinois ont envahi l’île Maurice a pour nom l’online shopping. « Non seulement les produits textiles chinois entrent librement à Maurice, mais ils sont disponibles sur le net, à des prix défiants toute compétition. Le monde entier fait face à ce défi », reconnaît-il. Dans de telles conditions, comment réduire les coûts de production pour vendre à des prix plus bas ?

« Notre seul atout est la main-d’œuvre étrangère, sans elle, je ferme la boutique. Mais il faut aussi répondre présent au travail. D'ailleurs, je n’ai jamais pris de congé, sauf pour aller voir la famille en Inde », répond-il. À ce jour, il a pu surmonter les challenges et créer un avenir professionnel et une famille à Maurice. « L'avantage, c’est d’être à l’affût des tendances et de rester à l’écoute des clients. De l’usine à l’atelier, durant plus de 25 ans, j’ai assisté à toutes les mutations vestimentaires à Maurice », se prévaut-il.

Où qu’il aille, il se sent désormais Mauricien, défendant les couleurs de l’île, son économie, son développement et l’harmonie pluriethnique qui sert de fondement à sa stabilité.  C’est aussi pour cela qu’il exhorte les pouvoirs publics d'utiliser une partie des fonds destinés aux drogués à leur réinsertion professionnelle. « Je suis prêt de les former à la coupe, afin qu’ils aient un métier et mettent fin à leur vie d’errance pour aider le pays et refaire leur vie. Dieu m’a conduit à Maurice et m’a aidé pour réaliser mes rêves, toujours avec détermination et en voyant le bon côté des choses », fait-il valoir.