Récession en 2020 : le pays est-il à l’abri ? | Défi Économie Aller au contenu principal

Récession en 2020 : le pays est-il à l’abri ?

Maurice
Les économistes prédisent une détérioration de notre économie.

Plus de dix ans après la crise des subprimes aux États-Unis, le spectre d'une nouvelle récession mondiale interpelle économistes et investisseurs. Pas moins de trois institutions globales, et non des moindres, ont déjà tiré la sonnette d’alarme: L’OCDE, la CNUCED et le FMI. Ces organismes, dans leurs récents rapports, soulignent les dangers qui nous guettent et les mesures à prendre.

L’éventualité d’une crise économique mondiale n’est pas à écarter. Le Défi Economie, dans son édition du 28 août 2019, souligna la crainte globale d’un ralentissement économique, citant le rapport de Moody’s et celui du World Economic Forum. Un mois après, c’est au tour de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et le Fonds Monétaire International (FMI) de tirer la sonnette d’alarme.

Selon la CNUCED, l'économie mondiale se dirige vers des eaux troubles, la récession de 2020 constituant désormais un danger clair et présent. Dans son rapport sur le commerce et le développement pour 2019, publié la semaine dernière, la CNUCED a statué que les tensions commerciales, les fluctuations des taux de change, la dette des entreprises, un Brexit sans accord et des courbes de rendement inversées sont autant de facteurs précurseurs d’une crise économique.

Pour l’OCDE, la croissance s’amenuise dangereusement. Alors qu’en mai 2018, cet organisme prévoyait une croissance mondiale pour 2019 proche de 4 %, aujourd’hui il estime qu’elle sera inférieure à 3 %. À Maurice, dans son troisième bulletin trimestriel, Statistics Mauritius vient de revoir à la baisse le taux de croissance prévu pour 2019, de 3,9 % à 3,8 %. C’est une baisse de la performance des secteurs manufacturier et tourisme qui est à l’origine de cet ajustement.

De son côté, Kristalina Georgieva, fraîchement nommée à la tête du FMI, a déclaré que l'économie mondiale devait être prête à faire face à un nouveau ralentissement économique. L'économiste bulgare a dit qu'elle prenait les rênes du FMI à un moment où la croissance ralentit et le niveau d'endettement est record.

Comment éviter la crise ?

Le rapport de la CNUCED appelle à mettre l’accent sur la création d’emplois, de salaires et d’investissements publics pour remplacer l’obsession des responsables politiques pour les cours des titres, les résultats trimestriels et la confiance des investisseurs. Même en ignorant les pires risques à la baisse, le rapport prévoit que la croissance mondiale tombera à 2,3 % en 2019, contre 3,0 % en 2018.

Plusieurs grandes économies émergentes sont déjà en récession, tandis que certaines économies avancées, notamment l'Allemagne et le Royaume-Uni, se rapprochent dangereusement, a indiqué le rapport.

Dan Maraye : « Des difficultés oui, mais pas insurmontables »

Dan MarayeDan Maraye, ancien Gouverneur de la Banque de Maurice, est d’avis que l’économie mondiale fait face à des nombreuses difficultés, ce qui aura définitivement un impact sur Maurice. Mais il ne veut pas parler de crise économique. « Il faut savoir choisir les mots. Quand on parle de crise, cela a un effet psychologique sur les gens, qui sont alarmés. Il faut plutôt expliquer les difficultés », dit Dan Maraye.  Et comment faire face à ces difficultés qu’il voit à l’horizon ? À cela, Dan Maraye répond qu’on ne peut pas continuer avec le ‘business as usual’.

« Nous devons commencer par revoir nos dépenses inutiles, surtout les gaspillages de fonds publics tant décriés par les rapports successifs de l’audit. Ensuite, il faut rendre ‘accountable’ les officiers concernés », suggère-t-il. Il dit être contre le système actuel, car il a toujours prôné le Zero-based Budgeting, un concept qui responsabilise les organismes. Il propose également un suivi plus rigoureux dans la gestion des fonds publics.

Dan Maraye préconise plus de transparence, de la bonne gouvernance et un combat plus sévère contre la corruption. « On peut y arriver en nommant des personnes intègres aux postes de responsabilité. Avec le nombre de cas de corruption non-résolus, les gens perdent confiance dans le système. Il faut aussi cibler les corrupteurs, et non pas seulement les corrompus », précise-t-il

Et comment préserver les emplois ? Dan Maraye indique que les employeurs ont un grand rôle à jouer. « Si la contribution des employés est amplement récompensée, alors cela boostera la productivité et l’entreprise sortira gagnante », dit-il. Prenant le tourisme comme exemple, il dit qu’on ne peut imputer le déclin du secteur qu’à la baisse des arrivées. Les employeurs doivent aussi revoir leur système, leur marketing et les conditions d’emplois pour retenir les meilleures ressources. « C’est à l’employeur d’offrir un environnement de travail propice et les outils nécessaires pour que les employés puissent donner le meilleur d’eux-mêmes. »

Dr Bhavish Jugurnath: «Un redéploiement intelligent de nos ressources s’impose»

Un impact négatif sur nos recettes d'exportation

Dr Bhavish JugurnathLe Dr Bhavish Jugurnath, économiste, explique que l'économie mondiale reste fragile même si la crise financière a pris fin il y a dix ans et appelle à repenser fondamentalement le modèle du “business as usual”qui a endetté les pays en développement avec des niveaux record d'endettement. « Pour citer le dernier rapport de l'ONU publié la semaine dernière, des signaux d'alarme clignotent déjà. Je pense qu'en 2007-2008, c'est la bulle immobilière qui a déclenché la récession. Aujourd'hui, il n'y a pas qu'une seule raison, mais une combinaison de facteurs qui auront un impact négatif sur la croissance mondiale », dit-il.

Outre la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine qui mènera éventuellement à une guerre monétaire, il existe des tensions géopolitiques au Moyen-Orient, et récemment au Cachemire, le ralentissement de l'économie allemande, qui est l'un des moteurs de la croissance économique en Europe, et aussi la montée du populisme. Il est clair que ce que nous vivons aujourd’hui aura de profondes répercussions sur l’économie mondiale étant donné qu’un changement de paradigme va bien au-delà de la crise des subprimes de 2007. Les risques de récession sont bien plus importants en 2019.

Et comment Maurice devrait-elle s'y préparer? À cette question, l’économiste répond que, dans le contexte mauricien, trois facteurs sont importants: les dépenses publiques, le faible taux d'investissement privé et la croissance de l'emploi. Avec le commerce mondial toujours sous le choc des tensions commerciales et un ralentissement plus général, des risques subsistent pour Maurice. « Il est impossible de penser que Maurice sera en mesure de résister à un ralentissement de l'économie mondiale. Le ralentissement économique mondial aura un impact négatif sur nos recettes d'exportation déjà affectées par la chute du prix du sucre », dit-il. Un ralentissement de la croissance économique américaine et les incertitudes liées au Brexit auront également un impact sur la croissance du secteur manufacturier, qui fait déjà face à des conditions difficiles, en raison de la hausse des coûts et de la baisse de la productivité.

Pour une petite économie insulaire en développement comme la nôtre, un redéploiement intelligent de ressources et des politiques économiques imaginatives et proactives, associés à une diplomatie économique, devraient nous maintenir à flot. « Je m'attends à ce que le MPC assouplisse sa politique monétaire en matière de taux de change à sa prochaine réunion. » Selon lui, la baisse de 15 points de base lors de la dernière réunion, passant de 3,5  à 3,35 %, s'explique par l'incertitude liée à la situation économique internationale, en particulier la crainte d'un ralentissement de l'économie mondiale. Cela a motivé la décision des membres du Comité de prendre des mesures de précaution en amont pour éviter que la croissance déjà faible ne soit plus fragile. En outre, à mesure que le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine s'aggravera, il risque de perturber davantage les chaînes d'approvisionnement mondiales, de retarder les entreprises dans leurs investissements et leurs projets d'embauche et de détériorer la confiance des entreprises et des consommateurs.

« Je pense aussi que, dans une certaine mesure, la protection du climat nécessite une nouvelle vague d’investissements, réinventant l’énergie et d’autres secteurs émetteurs de carbone. De nouvelles technologies à faible émission de carbone doivent être créées, installées et entretenues. » L’économiste propose également une augmentation des investissements verts, qui constitueraient une source importante de revenus et d'emplois. « J'appellerai cette stratégie le Green New Deal, rappelant le New Deal des années 1930, qui traitait du chômage et des bas salaires, de la nature prédatrice de la finance, des lacunes en matière d'infrastructures et des inégalités régionales, dans le contexte de la sortie de la Grande Dépression », conclut Bhavish Jugurnath.