Dr Chiragra Chakrabarty, CEO de KATIC Consulting : «Les escroqueries financières ont un impact monétaire»
Le Dr Chiragra Chakrabarty, spécialiste en finances, estime que Maurice peut être une plaque tournante du centre financier en Afrique, ce que Singapour est en Asie.
Il faut resserrer la dette publique
Les économistes prédisent une crise économique. Partagez-vous le même point de vue?
La bonne nouvelle est que les économistes conviennent en grande partie que la récession n’est pas prévue cette année. Cependant, les grandes sociétés de fonds et les banques d'investissement prévoient un ralentissement majeur de la croissance économique.
Les experts économiques et financiers ont observé plusieurs scandales financiers à l’étranger. Comment cela peut affecter notre secteur financier?
Les escroqueries financières ne sont pas bonnes pour le secteur financier. Cela a un impact monétaire sur l’industrie en raison des pertes financières dues à l’escroquerie. C'est un problème beaucoup plus grave comparé à une perte financière. Une fois que l'investisseur et l'émetteur ont perdu confiance dans une juridiction donnée, il est très difficile de rétablir le niveau de confiance. Les régulateurs du secteur financier doivent initier une série de mesures politiques et de contrôle pour rétablir la confiance dans une juridiction donnée.
L’économie mondiale ralentit et notre économie n’est pas à l’abri, surtout avec un déficit de plus en plus important de la balance courante. Comment pouvons-nous améliorer cette situation?
Selon le Fonds Monétaire International (FMI), le déficit du compte courant de Maurice s’est creusé, passant de 4 % du PIB en 2016 à 5,6 % du PIB en 2017, principalement en raison de la détérioration de la balance commerciale des biens. Le déficit de la balance courante devrait se creuser en raison de la hausse des prix du pétrole et de l'augmentation des importations de capitaux associées aux grands projets d'infrastructures publiques. L'un des moyens de réduire le déficit du compte-courant est le resserrement de la politique budgétaire et l'amélioration de la compétitivité extérieure grâce à des réformes structurelles. Du coup, l’assainissement budgétaire contribuerait à contenir la détérioration de la position du compte courant de Maurice, tandis que l’amélioration de la compétitivité nécessite un effort concerté visant à améliorer la productivité, l’efficacité du marché du travail et la diversification.
Pourquoi les obligations d'État sont-elles considérées comme sans risque?
Elles le sont uniquement si elles sont émises en monnaie locale. La perception est que le gouvernement ne peut faire défaut et qu’il remboursera donc toujours l’argent aux investisseurs en titres publics. Dans le pire des cas, le gouvernement peut compter sur la Banque centrale en tant que prêteur de dernier recours. Les obligations d’État émises en devises auront un risque de défaut ou de crédit (credit risk). Les 'fixed-rate government bonds' peuvent comporter un risque de taux d'intérêt, qui se produit lorsque les taux d'intérêt augmentent et que les investisseurs détiennent des obligations à taux fixes moins rémunérées que le marché. Aucun instrument financier n'est totalement sans risque, mais les titres d'État présentent un risque très faible comparé à un autre instrument financier.
Comment Maurice peut-elle promouvoir la croissance des marchés financiers africains en donnant aux représentants des bourses, des organismes de réglementation, des sociétés de bourse et autres parties intéressées la possibilité de se familiariser avec des sujets d'actualité concernant les marchés des capitaux?
Je soutiens que Maurice peut être en Afrique ce que Singapour est en Asie, une plaque tournante du centre financier africain. Le bilinguisme des Mauriciens est très bénéfique pour les centres financiers en développement, car de nombreux pays africains ont une langue officielle comme l'anglais ou le français. Maurice a un scénario politique et économique très stable. Le taux de change est stable et il n'y a pas de contrôle de change. Le pays a une réglementation bien développée des marchés financiers par rapport à de nombreux autres pays africains. Maurice est une société ouverte et respectueuse des lois qui la rend très attrayante pour les investisseurs mondiaux. Les facteurs mentionnés ci-dessus ne sont pas présents dans de nombreux pays africains et, pour développer ces zones, cela prendra du temps.
Il est donc logique qu’au lieu de développer leur propre petit marché segmenté, ils devraient aider Maurice à le développer en tant que centre financier international. Pour créer cette plaque tournante, le gouvernement et les régulateurs doivent avoir une bonne collaboration avec la plupart des régulateurs et des gouvernements africains. Il doit adopter une approche plus collaborative dans le domaine de la réglementation. Maurice en tant que centre financier offre d’énormes possibilités, le ciel est sa limite.
Mais pour atteindre ce niveau, quelques étapes majeures doivent être franchies. Selon moi, Maurice a besoin d'un changement de marque majeur en tant que juridiction financière. Il s’est construit en tant que juridiction principale de back-office, mais il doit maintenant le devenir en tant que juridiction de front-office. D’où vient la nécessité d’attirer les grandes marques mondiales du monde financier (bancaire ou non-bancaire) pour mettre en place leur 'front office' et, si nécessaire, pourquoi pas un back-office financier à Maurice?
Pourquoi ne pas créer un back-office financier à Maurice ?
40 % du total des investissements de Maurice en Afrique sont dirigés vers des pays avec lesquels Maurice n'a pas de convention fiscale. Vos commentaires...
Maurice a pris diverses mesures pour se diversifier en Afrique. Selon le rapport du site Internet de Global Finance, Maurice a déjà été reconnu pour son régime fiscal favorable, mais le pays entre maintenant dans une nouvelle phase, abandonnant les services axés sur l’impôt et vers l’ajout de services à valeur ajoutée réelle. Les investisseurs vont au-delà des incitations fiscales lorsqu'ils investissent par l'intermédiaire d'un International Financial Centre (IFC). Il est vrai que plus de 40 % du total des investissements de Maurice en Afrique sont dirigés vers des pays avec lesquels Maurice n’a pas de convention fiscale (ou où la convention fiscale n’est pas encore entrée en vigueur). C’est un grand développement. 40 % est un chiffre important, ce qui signifie que Maurice est en train de devenir une plaque tournante pour l'Afrique. Cela ne peut être fait en un jour, mais de bonnes mesures ont été prises dans ce sens. En 2016, les banques et les compagnies d'assurance établies à Maurice ont injecté plus de 50 millions de dollars dans l'économie du Kenya par le biais d'acquisitions et d'investissements. L’expertise mauricienne réhabilite et gère également les industries sucrières en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Mozambique, en Tanzanie et en Ouganda.
Le risque potentiel provient de la hausse des prix mondiaux de l'énergie et des aliments.
D'un point de vue macroéconomique, quelle a été la performance de Maurice au début de 2019?
La stabilité politique et la solidité des institutions ont contribué à maintenir la stabilité macroéconomique et à faire progresser considérablement le développement économique et humain. Une stratégie ambitieuse visant à moderniser l’infrastructure matérielle par le biais d’investissements publics, de promouvoir la diversification économique et de stimuler l’investissement privé est actuellement mise en œuvre pour favoriser une croissance inclusive et atteindre le cap des pays à revenu élevé au cours de la prochaine décennie. Selon l’AfDB report, la croissance du PIB réel (real GDP growth) devrait être de 4,0 % en 2019 et de 3,9 % en 2020. Ce qui est peu différent de la projection du FMI sur l'économie mauricienne; la croissance du PIB réel devrait s'établir à 3,9 % en 2019 et au même niveau en 2020.
Le financement extérieur de l’économie devrait bénéficier du renforcement continu des exportations de services, principalement du tourisme. Les principaux moteurs de la croissance sectorielle devraient continuer à bien se comporter, les services financiers, la transformation alimentaire, la vente au détail et en gros, ainsi que les technologies de l'information et de la communication devraient connaître une croissance supérieure à 5 %, selon l’AfDB report. En outre, l’économie se diversifie dans d’autres domaines à plus forte valeur ajoutée, tels que le tourisme médical et l’enseignement supérieur. Le risque potentiel provient de la hausse des prix mondiaux de l'énergie et des aliments. Cela peut entraîner une pression inflationniste. Parmi les autres obstacles possibles à la croissance, citons l'étroitesse de la base de compétences nationales et les risques naturels liés au changement climatique.
Bio Express
Dr. Chiragra Chakrabarty est le Chief Executive Officer chez KATIC Consulting et NRIFINTECH Financial Consultancy & Technology (Nomura). Cet ancien directeur de la Banque de Maurice compte 24 ans d'expérience sur le développement des marchés financiers. Il a travaillé sur les Bourses de l'Afrique du Sud, de Maurice, du Botswana, de la Namibie, du Ghana, du Nigéria et du Kenya, avec la banque centrale et les régulateurs des marchés financiers pour le développement des marchés des produits de base dérivés en Afrique pour 'Bourse Africa'. Il est également formateur chez Open Mind Consulting.
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